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Législatives 2009 au Liban: l’opposition trébuche tandis que le 14 Mars renouvelle son capital politique

Législatives 2009 au Liban: l’opposition trébuche tandis que le 14 Mars renouvelle son capital politique

Beyrouth, le 9 juin 2009

Karim El Mufti
Chercheur en sciences politiques

Avec 71 députés contre 57, le camp du 14 Mars est parvenu à renouveler son capital politique, entamé dès les débuts de sa législature de 2005 par le démantèlement de l’alliance quadripartite qui le liait aux principaux protagonistes de l’opposition lors des élections de 2005. Les crises politiques successives et l’intense confrontation avec la coalition du 8 Mars, dont l’apogée fut les violents incidents armés à Beyrouth et dans la Montagne en mai 2008, avaient également contribué à affaiblir politiquement la coalition anti-syrienne.

Au bout de la course électorale, le 14 Mars a pu se libérer de l’accusation de l’opposition selon laquelle elle représentait une « majorité fictive » depuis le déchirement de l’alliance quadripartite qui contribua grandement à l’intronisation de la majorité parlementaire lors des précédentes élections. Les loyalistes ont finalement su tirer un bénéfice électoral des erreurs et autres maladresses de l’opposition, lésée par le recours par le Hezbollah et ses alliés nationalistes syriens à la violence en mai 2008, ou par l’accueil triomphal des quatre généraux, emprisonnés dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, lors de leur relâchement de prison, alors qu’ils symbolisent l’armature d’un système sécuritaire et de corruption que le 8 Mars prétend vouloir combattre. Citons en outre la promotion maladroite en fin de campagne par le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun de l’idée d’instaurer une « troisième république » dont les contours demeuraient trop flous.

Avec cette victoire politique, reconnue par l’opposition, les leaders loyalistes ont pu reconstituer une majorité parlementaire bâtie durant la campagne électorale sur une double opposition, celle d’un retour de l’influence du régime syrien au Liban et celle de l’arsenal militaire du Hezbollah. En face, le camp de l’opposition avait concentré sa campagne sur une promesse de « changement et de réforme » (1), décriant une gouvernance désastreuse et corrompue des protagonistes du 14 Mars, dont la plupart se trouvent au pouvoir depuis 1992. L’autre enjeu, pour l’opposition, et particulièrement crucial pour le Hezbollah, était de déterminer le soutien des électeurs à la Résistance ; le Président de la Chambre, Nabih Berri considéra par ailleurs que le scrutin ferait office de « référendum sur les armes de la Résistance » (2) ; il fut précédé par le député et ancien ministre du Hezbollah, Mohammad Fneish, soulignant que son parti était « prêt à un référendum sur ses armes » (3). Le camouflet infligé à l’opposition laisse à penser que la polarisation des deux camps politiques va très probablement se poursuivre sur ce thème, d’autant que la bataille de légitimation de l’arsenal militaire du ‘parti de dieu’ a commencé avant même la proclamation officielle des résultats par le ministre de l’Intérieur, lorsque le député Mohammad Raad a adressé un message à ses adversaires politiques selon lequel il ne faudrait pas « remettre en question notre rôle en tant que parti de la Résistance, ni la légitimité de notre arsenal militaire, ni le fait qu’Israël constitue un Etat ennemi » (4).

En attendant la réponse officielle de la majorité parlementaire sur le sujet, il s’agit de s’interroger sur la manière dont le 14 Mars va gérer son capital politique revigoré par les résultats des urnes. A ce titre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’a pas réclamé la formation d’un gouvernement d’union nationale (5) dans son allocution télévisée reconnaissant le résultat des élections, préférant laisser au 14 Mars la responsabilité de déterminer les règles du jeu politique dans la période post-électorale (6). Celles-ci seront déterminantes pour tracer les tendances de la nouvelle phase politique qui s’ouvre au lendemain du scrutin du 7 juin, notamment concernant la question de savoir si le Liban sera gouverné selon sa pratique consociative traditionnelle de partage du pouvoir (7), également appelée « démocratie participative », et qui fut dressée comme seule pratique politique valable au Liban par l’opposition ; ou bien le 14 Mars tentera-t-il, à nouveau, de provoquer un glissement vers un système de gouvernance majoritaire? Cette logique fut même récemment prônée par le Président de la République Michel Sleiman selon lequel « le camp qui remportera les élections devrait gouverner en respectant l'esprit du pacte alors que les perdants doivent assumer le rôle de contrôle et de surveillance au sein de l'opposition et des institutions constitutionnelles » (8).

Les premières déclarations de deux des piliers du 14 Mars semblent privilégier l’option d’un rapprochement de circonstance entre les deux pôles politiques. Saad Hariri, chef du Courant du Futur, a souligné qu’ « il n’y avait ni vainqueur ni vaincu dans ces élections » (9). Il fut suivi deux jours plus tard par Walid Jumblatt privilégiant l’option de ne pas « isoler ni écarter quiconque dans le prochain gouvernement » (10) ; des déclarations qui tranchent avec la traditionnelle position des loyalistes les derniers mois, attachés à l’idée que le vainqueur des élections doive gouverner seul. A ce titre, ce ne serait pas la première fois que des adversaires politiques libanais renouent des liens de circonstance, sans que cela ne mette réellement le pays à l’abri du risque d’instabilité politique en cas de dérapage des tractations ou de changements de priorités opérés par les acteurs politiques.

La majorité parlementaire devra préciser ses priorités à très court terme ainsi que ses choix politiques qui rythmeront la vie politique libanaise dans les prochaines semaines. De la formation du nouveau gouvernement à l’élection (ou réélection) du Président de la Chambre, en passant par la nomination du Premier Ministre et la rédaction de la déclaration politique du Cabinet (légitimant ou non la Résistance), chacune de ces étapes renferme un potentiel pouvant précipiter la conciliation, comme la confrontation, entre les deux blocs, selon les choix opérés./.

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Notes de bas de page:
(1) Appellation du bloc parlementaire de la formation politique du Courant Patriotique Libre du Général Aoun, l’un des piliers de l’opposition.
(2) Déclaration sur la LBC le 5 juin 2009. Le président du Parlement a également rappelé l’importance de cet enjeu le jour du scrutin après avoir voté.
(3) Déclaration sur la LBC le 3 juin 2009.
(4) Déclaration du 8 juin 2009.
(5) Ce point figure parmi les principales revendications de l’opposition avant et durant la campagne électorale, et notamment au sein du discours politique du leader du Hezbollah exigeant un cabinet d’union nationale et ce quel que soit l’issue des élections.
(6) Discours sur Al Manar le 8 juin 2009.
(7) Lire entre autres à ce sujet l’ouvrage d’Antoine Messarra, le théoricien du système consensuel et consociatif au Liban, repris à Arendt Lijphart. Cf MESSARRA, Antoine. Théorie générale du système politique libanais, Cariscript, Paris, 1994. A noter par ailleurs que l’auteur figure parmi les nouveaux membres récemment nommés au Conseil Constitutionnel libanais.
(8)L’Orient-Le Jour du 4 juin 2009.
(9)Déclaration dans la soirée du 7 juin 2009.
(10)Entretien au quotidien As-Safir du 9 juin 2009.

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