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La thaoura, un an après : le virage raté de la représentativité politique

L'Orient Le Jour / Par Karim el-Mufti, le 14 octobre 2020 

https://www.lorientlejour.com/article/1236298/le-virage-rate-de-la-representativite-politique.html 

Quasiment un an après avoir été poussé à la démission par la fronde populaire du 17 octobre 2019, le Premier ministre Saad Hariri a annoncé, la semaine dernière lors d’une émission politique télévisée, sa volonté de former le prochain gouvernement. Le retour du dernier boulon – le cas échéant sunnite – dans le giron du régime politico-communautaire libanais claque comme un camouflet bien amer pour ceux qui pariaient sur un affaissement du système au vu de la ferveur des manifestants de l’automne dernier. Comment expliquer ce retour douloureux à la case départ, alors que le pays continue de couler, en sus d’avoir été foudroyé le 4 août par la négligence criminelle et la corruption généralisée des élites politico-communautaires ?

Car au lieu de consolider la vague contestataire contre le système gangrené en place, la double explosion du port de Beyrouth, qui a coûté la vie à 202 personnes, en a blessé 6 500 autres et dévasté une partie de la capitale, a parachevé l’essoufflement de la dynamique contestataire. Désormais affairés à la reconstruction des quartiers sinistrés et l’acheminement de l’aide à une population laissée à elle-même dans un contexte d’hyperinflation et d’effondrement des services publics, les groupes politiques alternatifs ne sont plus audibles sur la scène politique, retrouvant les codes et les réflexes de mission de la société civile dont proviennent la majorité d’entre eux. 

Ajoutons à cela le renoncement des différentes oppositions au sein du Parlement à leurs prérogatives, préférant sacrifier les outils du contre-pouvoir législatif sur l’autel d’une approche populiste basée sur l’émotionnel. Ainsi, la démission des députés Kataëb, dont le parti s’était frayé un chemin tant bien que mal le long de la crête de la vague de contestation, en sus de celle de Paula Yacoubian, seule députée de la « société civile » ayant arraché une victoire lors des élections de 2018, ne peut manquer d’interpeller, contribuant à desserrer un peu plus l’étau sur le régime politico-communautaire au cœur des institutions politiques. 

Solidité du régime 

Un an après la « révolution » du 17 octobre ayant permis à une jeunesse pleine d’espoir de crever le plafond de verre imposé par le système sectaire et patriarcal, force est de constater que le bilan reste maigre. Trois facteurs peuvent être mis en avant pour tenter de comprendre ce virage raté de cette colère populaire qui laissait penser que tout devenait possible pour le pays à la recherche d’un meilleur avenir. Tout d’abord, la solidité de ce régime politico-communautaire n’est pas à sous-estimer. La chute du gouvernement de Saad Hariri le 29 octobre 2019 n’ouvrit pas la voie à un renversement plus large de l’establishment politique en place. 

Ce dernier, via les différentes formations politico-communautaires, finira par conserver l’ensemble des leviers du pouvoir, sans oublier la puissance tirée de leurs parrainages régionaux et internationaux. Le cabinet Diab, désormais en charge des affaires courantes et faussement présenté comme technocrate, ne put en fait échapper aux pressions des « barons » politiques qui continuent de s’accaparer la réalité du pouvoir. Ce sont eux justement que le président français Emmanuel Macron a tenu à rassembler lors de ses deux visites à Beyrouth dans un contexte inédit de « sauvetage » d’un Liban « en danger de disparition », comme l’a souligné le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Malgré l’échouage de l’initiative française sur les écueils de ce roc qu’est le régime politico-communautaire en place, le président Macron dut admettre que ces acteurs politiques « sont élus », leur rendant leurs lettres de légitimité, et ce au grand dam des tenants de la révolte du 17 octobre attachés au principe du rejet total de la classe politique : « Tous, cela veut dire tous ». 

La solidité du régime s’est également traduite par la brutale répression qui s’est abattue sur les contestataires. L’armée libanaise a eu recours impunément à un usage excessif de la force, mutilant même de nombreux manifestants, sans non plus intervenir durablement lorsque les partisans des partis chiites se mirent à attaquer les protestataires et brûler leurs tentes de rassemblement. Rappelons en outre les actes de torture contre de nombreux activistes par les services de sécurité, tandis qu’aucune action n’est entreprise par la justice pour sanctionner les responsables. 

Le facteur malchance fut aussi de la partie avec la pandémie de Covid-19 et un long confinement qui paralysa la faculté de mouvement de la population. Les différentes mesures de prévention liées au coronavirus ont ainsi cassé le rythme de la rue, qui tenta une reprise en main du cycle de la contestation dès le mois de juin mais sans grand succès. La seconde vague du coronavirus qui frappe le pays en ce moment avec une croissance exponentielle des contaminations laisse préfigurer un gel des mouvements de rue, malgré quelques rassemblements timides ici et là lancés par certains groupes. Tant que perdurera la menace de la pandémie, l’arsenal des contestataires ne pourra compter sur le levier stratégique du terrain, ce qui ne peut que contribuer au renflouement de la classe politique qui profite de ce temps mort pour colmater les brèches causées par le choc du 17 octobre. 

 Enfin, un facteur sociétal doit également être relevé, à savoir le maintien d’une base non négligeable de partisans irréductibles en soutien à leurs leaders politico-communautaires respectifs. Contrairement aux prédictions, l’attachement aux zaïms ne s’est pas délité à la suite de la tragédie du port de Beyrouth qui a consacrée l’absence d’empathie des élites politiques et leur profonde faillite. Bien au contraire, les tensions sociales se sont accrues en défense des différentes formations au pouvoir, laissant craindre des débordements sécuritaires, tandis que les jeunes désenchantés contemplent désormais le chemin de l’émigration. Sans être absolu, le clivage générationnel maintient les difficultés pour les courants réformistes. 

Dans un article publié le 1er octobre dans L’Orient-Le Jour, un jeune racontait, désabusé, que ses parents étaient pressés de le mettre dans l’avion pour assurer son avenir, tandis qu’« ils soutiennent encore certains partis politiques ». Ainsi, la peur existentielle des membres des « minorités », composantes historiques du Liban centenaire, continue de l’emporter sur les considérations citoyennes, prolongeant la mainmise des élites politico-communautaires via cet imparable cheval de Troie. 

Un tel facteur sociétal a d’autant plus compliqué le ralliement des Libanais restés sectaires aux formations politiques alternatives, lesquelles ne sont pas parvenues à capter un soutien populaire leur permettant de peser véritablement dans la balance politique. 

Impossible unité 

À ces facteurs viennent s’ajouter les errements de ces groupes d’opposition qui ont manqué l’opportunité de se constituer un véritable capital politique à la faveur des coups de boutoir de la « révolution » du 17 octobre contre le système. Minés par le traumatisme des résultats décevants des élections de mai 2018, les chefs de file des courants de la contestation se sont très vite dédouanés de toute « représentation » du soulèvement de la rue, pensant éviter ainsi d’être taxés d’opportunisme politique. 

C’était vite oublier le fondement même des systèmes politiques modernes basés justement sur le jeu de la représentativité ; à trop répéter qu’ils ne représentaient pas les protestataires, les leaders réformistes se sont trop vite privés d’un précieux capital politique. Partant, ces groupes ont préféré actionner une ligne stratégique portée sur l’unification des courants, qui n’a pourtant pas fait ses preuves lors des élections législatives de 2018. Obnubilés par la recherche d’une impossible « unité », les groupes politiques alternatifs n’ont su diriger leur combativité pour s’engouffrer dans les failles de l’édifice politico-communautaire. L’interprétation des accords de Taëf, la stratégie de défense (les armes du Hezbollah), la politique étrangère tout comme les orientations économiques nationales sont autant de pierres d’achoppement qui ne peuvent être dépassées sans un risque de dilution des différentes identités politiques. 

Par ailleurs, la richesse de leur diversité, qui s’inscrit dans la nature même du jeu démocratique, ne constitue pas le travers à surmonter, le pendant étant l’investissement massif et sans compromission, chacun dans son champ d’action, dans un travail d’ancrage politique du tissu social local acquis à la « révolution ». Un an après le 17 octobre 2019, l’État libanais demeure confisqué par des élites charognardes et machiavéliques, jalouses de leurs intérêts politiques et financiers, via un système de partage du pouvoir qui tente de se maintenir coûte que coûte. Si l’énergie véhiculée par l’esprit du 17 octobre reste intacte, elle devra percer de nouveaux canaux d’expression à même d’être représentés à l’échelle politique pour réussir à conquérir et constituer des contre-pouvoirs durables et efficaces. 

Par Karim EL-MUFTI 

Enseignant-chercheur en sciences politiques et droit international, directeur de la clinique juridique des droits de l’homme à l’Université la Sagesse.

NOW PUBLISHED: Policies and Politics of Teaching Religion, by Prof. Theodore HANF & Dr. Karim EL MUFTI

In many states the role of religion and religious communities is becoming crucial. While this is particularly true of predominantly Muslim countries, it also holds for Europe. Controversies regarding religious instruction have become frequent.

What is the legal basis of religious instruction, in which institutions does it take place, who draws up the curricula, who trains the teachers? Do states seek to instrumentalise it to strengthen their legitimacy? Do other forces in society use it to influence govern- mental policies? What is its impact? Does it trigger, deepen or reduce conflict?

These questions are examined in case studies of Afghanistan, Bosnia-Herzegovina, Egypt, France, Germany, India, Indonesia, Israel, Lebanon, Macedonia, Tunisia, Turkey and the UK. A comparison reveals commonalities in the pattern of problems and con- flicts, but also gaps in the state of our knowledge, and, hence, the need for further research. 








http://www.nomos-shop.de/Hanf-El-Mufti-Policies-Politics-of-Teaching-Religion/productview.aspx?product=21859&pac=weco#!

L’Inexorable marche vers le fédéralisme au Liban

Dr. Karim El Mufti
Enseignant-chercheur en science politique


La disproportion de la réaction de militants sunnites suite au « crime » commis contre plusieurs ulémas de Dar El Fatwa, la haute instance sunnite du Liban, physiquement agressés dans des quartiers à majorité chiite le 17 mars 2013, est illustrative de la tendance des communautés libanaises au renfermement. Malgré l’appel au calme et à la retenue lancé par les différentes figures politico-communautaires, une étape supplémentaire fut de nouveau franchie en matière de tension intercommunautaire, notamment entre les groupes sunnite et chiite, emblématique d’une poussée régionale dans cette direction sous l’ère contemporaine.

Pays du « fédéralisme intégré » théorisé par Antoine Messarra[1], le Liban offre aux différents segments communautaires une très large autonomie sociale, économique, religieuse et évidemment politique inscrite dans le marbre de la Constitution. Cette autonomie rappelle pour l’auteur une forme de fédéralisme, intégré dans un Etat à caractère unitaire, à savoir qu’en lieu d’une répartition géographique et territoriale (comme les cantons suisses ou les fédéralismes classiques), les groupes confessionnels au Liban sont organisés selon une législation régissant une adhésion à un statut personnel. Ainsi, chacune des communautés reconnues se retrouve avec un nombre de 167 compétences constituant son statut personnel et celui-ci varie selon les communautés. Cette institutionnalisation du communautarisme fut confirmée par les accords de Taëf de 1989 malgré la mention d’une hypothétique « abolition du confessionnalisme politique »[2] qui ne trouvera jamais de relais politique pour une éventuelle mise en œuvre, car délaissée par des formations politico-communautaires arc-boutées sur des valeurs étroitement sectaires.

Pourtant, lors de l’expulsion de l’acteur syrien de l’espace politique libanais en avril 2005 provoquée par l’onde de choc de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, les tenants d’une renaissance de la république libanaise ont acclamé la venue d’une « seconde indépendance » (théorisée par le courant du 14 Mars) ainsi que le renouveau d’un « mouvement souverainiste » (théorisé par le courant du 8 Mars, notamment le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun rentré d’exil en mai 2005). Premier chef du gouvernement de l’ère post-syrienne, Fouad Siniora affirmait avec confiance au sujet de la déclaration de principes de politique générale de son cabinet nouvellement formé que c’est « la première fois que nous [la] rédigeons nous-mêmes »[3], en référence aux incessantes ingérences du grand frère syrien depuis le quartier général de Anjar dans la Békaa.

En moins d’une décennie, ces espoirs ont fait long feu, accélérant une tendance vers le délitement du visage républicain au Liban sous le poids croissant de l’envahissement du champ politique libanais par des revendications communautaristes toujours plus pressentes.

1. Le lent délitement de la République 

Pionnier dans l’application d’une ingénierie politique favorisant le partage du pouvoir, ou consociationnalisme, théorisé par Arendt Lijphart[4], le Liban sut très tôt intégrer le caractère pluriel de son tissu social dans son système politique en vue de garantir à l’ensemble des minorités un certain poids au sein des institutions étatiques, comme inscrit dès la première Constitution libanaise de 1926[5]. En dépit de la division  de la littérature des sciences sociales autour de la question de savoir si le consociationnalisme est bénéfique en terme de facteur de stabilité politique, force reste tout de même de constater qu’il figure parmi les grands acquis du régime politique libanais d’après-guerre[6], lequel ne fut pas remis en question même après le retrait du protagoniste syrien en avril 2005.

Néanmoins, les politiques libanais ne purent jamais sortir le pays du sous-développement politique chronique[7] maintenant la République libanaise dans une « phase de pré-Etat » pour reprendre une expression de Farid El Khazen[8] lequel entend par là un phénomène de sous-institutionnalisation de l’entité étatique. Celle-ci prend par conséquent la forme, comme le dit Jean Leca, d’« un collectif non institué […] perçu comme un faisceau ou un fagot d’institutions, d’organisations et d’agents, [plutôt] que comme une institution »[9]. La multiplication des incidents entre des hauts fonctionnaires et leurs ministres respectifs[10] vient à cet égard confirmer la nature compartimentée de l’administration publique, déchirée entre les différentes loyautés politico-communautaires et incapable de tenir son rôle dans la reconstruction de l’édifice républicain.

Par ailleurs, l’effacement de la notion de république et la défense du constitutionnalisme se fait de plus en plus notable dans les discours et les actes politiques des différentes formations libanaises. Jadis en marge du discours politique local, les options centrifuges, parmi lesquelles le principe fédéral, furent en effet écartées lors de la proclamation de la seconde République et le retour de la « légalité » (à savoir les institutions étatiques) au sortir de la guerre, malgré le fait qu’elles furent agressivement poursuivies durant celle-ci.

Ainsi, le courant porteur du fédéralisme libanais, largement influencé par, entre autres, Antoine Najm[11], finit par séduire de nombreux intellectuels au sein des cercles politiques libanais. Parmi les nouveaux supporters de cette vision, le parti Kataëb s’est rallié à cette tendance. Présidé par l’ancien président de la République Amine Gemayel qui pourtant débuta son mandat en 1982 très marqué par des positions nationalistes et arabistes, ce dernier écrit aujourd’hui que « dans un Etat pluriel comme le Liban, il est indispensable de créer de petites entités régionales de manière à mieux responsabiliser le citoyen, à mieux le faire participer aux différents volets de la vie publique et lui permettre de mieux s’épanouir par la réalisation de ses aspirations légitimes dans son environnement sociocommunautaire »[12]. Cette profonde évolution fut en partie influencée par les positions du cadet de la famille, Sami Gemayel, avant sa réconciliation avec le parti fondé par son grand-père. Ainsi, le fils de l’ancien président épousa la défense de l’option fédérale au travers du regroupement Loubnanouna [Notre Liban][13] s’appuyant sur le principe selon lequel «  le Liban est un Etat de Nations et non un Etat-Nation, comment vivre dans un pays où l'existence même des multiples communautés qui le composent est chaque jour remise en cause ? »[14]. En outre, on retrouve la formule fédérale ouvertement prônée parmi d’autres courants politiques, opérant par la même occasion un véritable travail de déminage autour de cette notion selon le principe suivant : « qui dit fédéralisme ne dit pas partition du Liban »[15].

Sans être aussi directement formulés, les schémas de pensée des leaders politiques des autres communautés s’avancent lentement vers l’idée d’une nécessité de faire évoluer le système politique afin que chacune des sectes puisse mettre en œuvre son « projet de société » (voir point 2). Comme l’avance Alain Dieckhoff, cette notion implique la création à terme d’« entités fédérées ayant un projet de société spécifique à défendre, [et leur donner] des droits et des pouvoirs dont ne jouiraient pas les autres entités purement territoriales et administratives »[16].

Le fédéralisme perd ainsi progressivement son caractère tabou par le renforcement des mobilisations communautaristes d’un côté, mais également par le fait de l’effritement des contre-pouvoirs encadrant traditionnellement le communautarisme libanais tel que fonctionnant au Liban.

2. Effritement des contre-pouvoirs au communautarisme politique


Un premier verrou s’est vu décrocher devant la doctrine communautariste traçant aussi inexorablement son chemin, celui de la présidence de la République qui a vécu une rétrogradation politique au profit d’une militarisation du poste suprême de l’Etat libanais. Si la présence d’un militaire au sommet de l’Etat n’est pas sans précédent dans l’histoire politique libanaise comme l’indique le mandat du père de l’administration publique libanaise, le général Fouad Chehab (1958-1964), force est de constater que la défense de l’idée républicaine ne fut pas le fort des généraux de l’époque contemporaine. En effet, qu’il s’agisse du président-général Emile Lahoud (1998-2007), obsédé par la sauvegarde des intérêts syriens au Liban ou du président-général Michel Sleiman (depuis 2008) relégué au rang d’observateur impuissant devant le renforcement des mobilisations communautaristes, la stature du chef de l’Etat, traditionnel emblème de la « légalité » face au communautarisme, a désormais perdu son rôle de balancier aux forces centrifuges des formations politico-communautaires.

Par ailleurs, il s’agit de relever l’effacement progressif des lignes et des discours laïques des grands courants politiques au Liban. Qu’il s’agisse du parti Amal dont le président représente l’instance législative du pays, mais luttant surtout pour maintenir sa position de second représentant de la population chiite aux côtés du Hezbollah, du PSP de Walid Joumblatt qui s’est brusquement rabattu sur la seule défense des intérêts purement druzes ou du Courant du Futur autrefois marqué par une ambition transcommunautaire et qui lutte désormais pour une monopolisation de la représentation de l’électorat sunnite en fustigeant le « mini-Etat du Hezbollah [chiite] »[17], il s’agit là d’un ralliement des grandes figures aux rangs des porte-voix des crispations des identités communautaires transposées dans le champ politique, s’alignant ainsi sur les discours, traditionnels et plus récents, des principaux courants politiques chrétiens libanais. Parmi ceux-là, Michel Aoun, le président du CPL veut remédier au « hold-up commis contre le droit des chrétiens »[18], en partie causé par « la fin de la dualité des leaderships au sein des communautés au Liban et l’émergence de blocs sunnite, chiite et druze homogènes »[19].

Ajoutons à cela la disparition, physique cette fois, des figures intellectuelles emblématiques de la recherche d’une laïcité (certains diraient étatisme civil) à la libanaise (sur les flancs aussi bien de gauche que de droite) comme Samir Kassir ou Gebrane Tuéni [20], conduisant à un affaissement supplémentaire des remparts contre la mainmise du tout-communautaire dans l’espace sociopolitique libanais. Ceux-ci se retrouvent aujourd’hui dans un état de délabrement avancé, ouvrant la voie à une inexorable marche de l’entité libanaise du 21ème siècle vers davantage de solutions empruntées à un idéal fédéral.

L’aboutissement de ce phénomène a conduit à un puissant effet de cliquet qui vit l’émergence dans le paysage législatif au Liban d’un très sérieux débat sur une loi électorale basée sur un vote exclusivement communautaire tel que préconisé par le projet de loi promu par l’ancien ministre Elie Ferzli (popularisé sous l’appellation de projet de loi orthodoxe en rapport avec la communauté d’origine dudit ministre).

Quoique nécessitant un amendement constitutionnel pour pouvoir passer en l’état, ce développement évoque néanmoins la concrétisation d’une tendance lourde vers de nouvelles caractéristiques du communautarisme politique proprement libanais. Si celles-ci sont décriées par les marges de la population rangée au cosmopolitisme ou à la gauche farouchement anti-communautariste, cette formule n’en reste pas moins en phase avec l’ancrage des mentalités sociales et politiques de la société plurielle et mosaïque que constitue le Liban aujourd’hui.

Beyrouth, le 20 mars 2013





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[1] MESSARRA, Antoine. Théorie générale du système politique libanais, Cariscript, Paris, 1994.

[2] Point G de l’Accord de Taëf du 22 octobre 1989.
[3] An Nahar du 5 octobre 2005.
[4] LIJPHART, Arend. Democracy in plural societies. A comparative exploration, New Haven, Yale university press, 1977, LIJPHART, Arend. Democracies: Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-One Countries, New Haven, CT, Yale University Press, 1984, LIJPHART, Arend. Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-Six Countries, New Haven, Yale University Press, 1999.
[5] L’article 95 de la Constitution de 1926 disposait originellement : « A titre transitoire et conformément aux dispositions de l'article 1er de la Charte du Mandat et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l'État ». La loi constitutionnelle de 1990 amenda l’article sans en modifier le fond : « A titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l'État ».
[6] Lire entre autres: PICARD, Elizabeth. Les habits neufs du communautarisme libanais. Cultures et Conflits, n°15/16, automne-hiver 1994, p. 49. Disponible sur Internet : http://www.conflits.org/index515.html
[7] Sur la notion de sous-développement politique, lire HUDSON, Michael. A Case of Political Underdevelopment. Journal of Politics, vol. 29, n°4, Nov. 1967, pp. 821-837.
[8] EL KHAZEN, Farid. L’Etat au Liban: qui en veut vraiment? In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, p. 94.
[9] LECA, Jean. Violence et ordre. In HANNOYER Jean (dir.) Guerres Civiles, économies de la violence, dimensions de la civilité, Karthala, 1999, p. 317-318.
[10] Citons à titre de rappel le déclenchement des clashs de mai 2008 en partie à cause de la destitution du directeur de la Sûreté Générale, ou plus récemment encore l’affaire Ogero de mai 2011 ou celle des données des centrales de télécommunications de janvier 2012 qui ont provoqué une crise interministérielle.
[11] Lire à ce sujet NAJM, Antoine. El Ta’ifiya El Siyasiya wa Machrou’iyatiha [Le Confessionnalisme politique et sa légitimité], 1er février 2010, NAJM, Antoine. Le Fédéralisme, point de départ de la solution. In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, pp. 126-127.
[12] GEMAYEL, Amine. Le Liban, un projet d’espoir! In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, p. 53.
[13] Cercle de réflexion politique nostalgique de feu le Président Bachir Gemayel, et fondé par de jeunes politiciens, dont Sami Gemayel dont le but est la promotion de la solution fédérale au Liban, cf http://www.loubnanouna.org
[14] Note publiée sur le site www.loubanouna.org, le 8 décembre 2005.
[15] BOU NASSIF, Hisham. Pour un Etat fédéral. Conférence à la Maison de  l’Avocat dans le cadre d’un cycle de reflexion sur l’avenir politique du Liban, 9 avril 2008, compte-rendu publié sur le site des Forces Libanaises sur http://www.lebanese-forces.com/2008/04/14/8391
[16] DIECKHOFF, Alain. La nation dans tous ses Etats, les identités nationales en mouvement, Flammarion, Paris, 2000, p. 233.
[17] Discours de Saad Hariri, chef du Courant du Futur, le 14 février 2013 lors de la 8ème commémoration de l’assassinat de son père Rafic Hariri.
[18] Interview de Michel Aoun dans Al Akhbar du 15 février 2013.
[19] Idem
[20] Tous deux assassinés par des attentats à la bombe le premier le 2 juin 2005 et le second le 12 décembre 2005.

Confrontation politique et fossé grandissant au Liban, la dernière bataille pour contrôler l’Etat inachevé

Karim El Mufti

Chercheur en science politique

Une fois n’est pas coutume, la classe politique libanaise se dirige vers une nouvelle cassure. Vingt ans après la fin de la guerre et le début du processus de reconstruction d’un Etat toujours en quête d’identité, celui-ci sombre une nouvelle fois dans un cycle de paralysie. Cette nouvelle crise s’insère dans un contexte de forte polarisation entre les forces politiques en présence bataillant, depuis le retrait du parrain syrien en avril 2005, pour le contrôle de l’identité et de l’âme de l’Etat en place, afin d’en déterminer la forme, la place et le rôle, et ce à l’ombre de considérations régionales et internationales dont les enjeux dépassent le seul cadre libanais. Entre les deux modèles envisagés par les entrepreneurs politico-communautaires des deux camps, d’un côté la République Marchande, défendue par les forces 14 Mars, et celui de la République Militante prônée par celles du 8 Mars[1], le maintien d’une forme de compromis intermédiaire n’a plus cours. Ballottée de transition en transition, la scène politique libanaise, toutes formations confondues, s’enfonce dans la crise, accroissant toujours plus le fossé entre des projets théoriquement incompatibles.

Et cette fois, c’est au tour des forces du 8 Mars de se lancer dans une tentative pour dépasser la logique du compromis, rejetant finalement toute coopération avec le regroupement du 14 Mars qu’elles ne considèrent plus comme un partenaire politique, et notamment en la personne de Saad Hariri, premier ministre dont l’arrivée tardive et l’inexpérience dans le jeu politique ont eu raison de sa crédibilité. Rassemblant les acteurs politiques dont la plupart tenaient déjà le pouvoir depuis la fin de la guerre civile sous tutelle syrienne après l’assassinat de feu Rafic Hariri en février 2005, le 14 Mars peine à mobiliser des leviers politiques qui lui permettraient de faire face à une défiance, de plus en plus radicale, de la part du Hezbollah et ses alliés du CPL de Michel Aoun. Au lendemain des élections de l’été 2005, la logique du compromis avait gouverné le paysage politique libanais, contre la volonté des figures du 14 Mars qui voyaient dans le retrait syrien d’avril 2005 l’occasion d’introduire le fait majoritaire dans les règles du jeu politique. Cette tentative fut défaite par l’opposition qui sut jouer de la rue (les rassemblements du centre-ville qui ont duré plus d’un an) et du blocage institutionnel (par le président du parlement Nabih Berri qui interrompit les sessions du pouvoir législatif sur une période semblable), au rythme de crises et tensions politiques qui envenima l’entièreté du mandat parlementaire de 2005 à 2009.

Au lendemain des élections législatives de juin 2009 émergea le gouvernement d’union nationale présidé par Saad Hariri, rééditant le système consensuel du partage du pouvoir en dépit de la majorité qui s’est encore une fois dégagée du scrutin au profit du 14 Mars. Malgré le maintien des mécanismes consociatifs, le clivage autour de la question du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) paralysa l’action publique et finit par avoir raison du bon fonctionnement de l’exécutif qui fut destitué par le retrait de plus d’un tiers de ses membres le 12 janvier dernier. Rejetant les rumeurs qui ont progressivement percé, le mêlant à l’assassinat de Rafic Hariri sur lequel enquête le TSL, le Hezbollah s’est redit prêt à « couper la main de quiconque voudra porter atteinte à la Résistance » en l’accusant de ce meurtre. La concomitance de la démission collective ayant fait tomber le gouvernement et l’annonce de la transmission imminente de l’acte d’accusation par le procureur Bellemare (dont le contenu est maintenu secret et qui intervint le 17 janvier dernier) n’est bien évidemment pas fortuite, mais cache une passe d’armes plus tranchée encore sur l’avenir du processus d’édification de l’Etat libanais, pris en tenailles dans cette énième crise.

Revigorées par le retour en puissance de Damas et de Téhéran sur la scène régionale, les élites politiques du 8 Mars lorgnent enfin sur une prise en main du processus institutionnel, une tendance renforcée par la perte du 14 Mars de son ancien pilier, Walid Jumblatt, qui finit par se désolidariser de son ancienne coalition. Plus avant, deux éléments de discours alimentent le refus aujourd’hui affiché par les leaders de l’opposition de composer dorénavant avec les forces du 14 Mars. D’une part, les accusations de corruption des entrepreneurs politiques au pouvoir depuis 1992, largement véhiculées par les figures du 8 Mars au sein d’une population libanaise dont une large partie, toutes tendances confondues, n’a pas bénéficié des dividendes de la reconstruction économique et financière de l’ère Hariri. D’un autre côté, la rhétorique de l’opposition s’appuie sur un réquisitoire associant le soutien au TSL, dépeint comme bras armé des Etats-Unis et d’Israël pour contrer le concept de Résistance au Proche-Orient, à une « trahison » de l’ordre de la « collaboration avec l’ennemi sioniste ».

En face, le 14 Mars a essayé tant bien que mal de garder la main sur le processus de reconstruction institutionnelle de l’ère post-syrienne, mais il fut rapidement dépassé par les flancs, en dépit des nombreuses concessions politiques déjà accordées. Il n’en reste pas moins que la mobilisation de ceux qui furent les artisans du retrait syrien du Liban après près de 30 ans de tutelle, se maintient à travers des arguments d’ordre politique, mettant en garde contre un coup d’Etat du Hezbollah et l’instauration d’une république islamique au Liban, et en renouvelant le soutien politique au TSL. En second lieu, le champ économique est également mis à contribution, le 14 Mars arguant que le pays serait financièrement ostracisé et coupé de la communauté internationale, comme pour le cas de Gaza, une situation qui serait « catastrophique », comme l’a fait remarqué le chef des Forces Libanaises, Samir Geagea, pour la stabilité des marchés financiers si le 8 Mars venait à prendre le pouvoir.

Dans cette bataille politique, l’effet de l’accord de Doha de mai 2008 qui permit l’accession du général Michel Sleiman à la présidence de la République et la tenue des élections de juin 2009, est aujourd’hui épuisé. C’est un nouveau Taëf que semblent rechercher les élites politiques libanaises, s’appuyant comme en 1989, sur une entente syro-saoudienne, et dont le premier round de négociations ne put pour l’heure aboutir. Au vu des développements géopolitiques de la dernière décennie, il va sans dire que l’Iran devra également compter parmi les parrains de tout nouvel accord politico-institutionnel au Liban. Celui-ci tiendra lieu de nouveau cadre de confrontation pour les acteurs politico-communautaires libanais dans cette dernière bataille pour l’Etat toujours en attente de sa matrice identitaire finale.

Beyrouth, le 24 janvier 2011


[1] Les contours de ce clivage sont explorés dans notre ouvrage à paraître : Reconstruction d’Etat dans les sociétés multicommunautaires ; analyse comparative entre le Liban et la Bosnie-Herzégovine.

Education Strategies in a Multisectarian State: The Clash of Nationalism in Post-War Bosnia-Herzegovina

By Karim El Mufti
25 May 2010

Torn by a devastating war back in the 1990’s, Bosnia-Herzegovina emerges as a deeply divided society, homeland of three main communities from three different religions and handling two alphabets, not to mention a number of minorities living alongside the sole “constituent peoples” of the country, the Bosniaks (Muslim1), the Croats (Catholic) and the Serbs (Orthodox). Historically, Bosnia’s making followed the path of a “plural society”, defined at an early stage in social science by John Sydenham Furnivall, after observing the Indian context, as a social corps in which “two or more segments or social orders live side by side, but without mixing, in one same political entity”2. In the case of Bosnia-Herzegovina, its social matrix is structured according to a scheme inherited from the millet system of the Ottoman Empire, a system of social organization where separate religious groups other than Islamic were granted specific cultural rights and privileges in exchange of loyalty to the Sublime Porte and the settlement of taxes. This system strongly shaped what Donald Rotchild considers “self conscious collectivities”3 or “quasi-national communities”4, the expression with which Ernest Gellner characterizes the millets.

Contemporary Bosnia hence continues to hold distinct segments or ethnic groups, in the sense developed by Theodor Hanf : “[Ethnicity] incorporates not only common origins but also common language, religion or other feature of ethnic identity. In this sense, ‘ethnic groups’ may be people, national groups or religious communities, groups distinguishable from one another by one or more cultural markers”5. Each of the three components is officially recognized as a “constituent people” of the country, or in other terms, distinct national communities, defined by distinct cultural identities. For James Clark, « what had been religious communities until then were transformed into nationalist ones. Inherited religious affiliation surpassed religious belief in importance, and the word millet gradually assumed the meaning of nation »6. From his side, Walker Connor elaborated the notion of “ethnonationalism”7 defining “the nation [as] a self-conscious ethnic group”8, a very pejorative reference in the Balkan context, given the confrontational history in the region.

The Bosnian war (1992–1995) transformed the Bosnian territory into a military arena for the three rival nationalisms and ended with the adoption of the Dayton Agreement of December 1995 which managed to preserve the integrity of the Republic of Bosnia-Herzegovina, but without putting an end to the nationalist aspirations of the different groups, maintaining very much alive the phenomenon of what Jean-François Gossiaux theorized as “Ethnic Power”9. In the shadow of a failed state crippled by war, power-sharing arrangements10 were designed to ensure political participation of the Bosniak, Croat and Serb nationalist entrepreneurs in exchange of the cessation of hostilities and the launching of the construction process (or State-Building) of the Central State of Bosnia-Herzegovina. And when the Dayton Agreement confirmed Bosnia-Herzegovina as a single, independent state, it also planted two highly autonomous ‘entities’, the predominantly Bosniak and Croat Federation of Bosnia-Herzegovina (FBiH) and the predominantly Bosnian Serb Republika Srpska (RS)11. Supervising the entire workshop of implementing the Peace Agreement and re-building a Bosnian State is the Office of the High Representative, an international appointee by the Peace Implementation Council, gathering all the international countries involved in ensuring a sustainable and lasting peace in Bosnia-Herzegovina, along with a very impressive number of inter-national agencies tackling major aspects of peace building, from the humanitarian perspective to the security dimension of the theatre, passing through all types of policy reforms, such as electoral and educational reforms, to undo the nationalist grip on the Bosnian polity, which is considered as the main obstacle to peace by the international stakeholders.

Referring to education, it is worth observing the very high impact of the ongoing clash of nationalism that switched from a war mode to a more political mode in the context of a deeply divided society on the country’s educational systems. As all plural societies, education is inextricably linked to the right to express, promote and protect one’s identity: “next to the family, [education] is the single most important agency for cultural reproduction, socialization and identity formation”12. In post-Dayton Bosnia, education is in the hands of the entities’ level, thus leaving very little margin of action for the Central State. For instance, looking at Section III, article 4(b) of the Constitution of the Federation shows that the Cantons acquired all responsibilities not expressly granted to the Federation government, including “making education policy, including decisions concerning the regulation and provision of education”. Article 38 of the RS Constitution states that: “everyone shall be entitled to education under equal conditions”, that “primary schooling shall be compulsory and free”, and “everyone shall have access, under the same conditions, to secondary and higher education”.

The institutional arrangements favoring the entities, in the field of education among other culturally-related items, kept alive the system of ethnic education, a system that had been set up in the pre-war period, thus cultivating the seeds of the coming conflict.


The Education System in Bosnia, reflection of a fragmented society

The very complex political structure set by Dayton hence paved the way to a duplication scheme of different layers of regulatory and policy enterprises. Subsequently, education in Bosnia has geared into parallel systems, “failing to benefit from economies of scale and suffer from duplication, redundancy and an expensive system in an already poverty-stricken country”, as international experts put it13. Unlike countries where minorities struggle to gain cultural recognition and basic human rights related to their group’s language and education, Bosnia’s peace deal gave the three constituent peoples enough leverage to maintain what many in Bosnia agree to qualify as a school segregation system, where students attend separate schools and learn distinct curriculum depending to which of the groups they belong to. And when there are not enough schools (60 per cent of the schools were destroyed during the conflict or requisitioned for military purposes), the one roof two schools system was established, where two sectarian educational programs run separately in the same building but through unconnected schedules.

This institutionalized system of segregation and discrimination illustrates the politicization of education in Bosnia, each group in its own entity following a nationalist agenda aimed at defending its educational privileges: “schools have become the […] battlefield for ethno-linguistic dominance and control. The result is a system where children are taught in segregated schools and classrooms, according to ethnically specific curricula and textbooks”14. Education expert in Bosnia, Valery Perry, considers the “politicization of education”15 as a “deliberate strategy by nationalist politicians to use the politics of identity and fear to continue the war by other means in spite of the peace agreement”16. Reaching University level, the configuration is no different for the students, each community having developed an academic pole of reference, either around the University of Sarajevo for Bosniaks, the University of Mostar for the Bosnian Croats and the University of Banja Luka for the Bosnian Serbs.

The nationalist cleavage in the educational system of the Bosnian Republic started before the 1992–1995 war, in the aftermath of Yugoslavia’s general elections of 1990 which favored the nationalist rise to power within the different Yugoslav republics. The old Yugoslav educational system was dismantled at all levels, religion lessons were introduced into schools and students who failed to attend would be subject of pressure and intimidation. Bosnian Croats adapted their curriculum from the one in Zagreb (Croatia), and the same was observed on the Bosnian Serb side, who looked towards the Serbian curriculum from Belgrade. History, Geography and Literature acquired a significant political importance and, hence, were subject to substantial changes.

After the civil war, the school system in independent Bosnia Herzegovina remained fractured, and the many mandated agencies in charge of supervising Bosnia’s peace building did not focus in its early stages on the education sphere. Although briefly mentioned in Annex 6(1) of the Dayton Agreement, the international community’s mandate primarily concentrated on implementing the peace agreement in which education was not a top priority, since no organization, international or domestic, was given a clear mandate to ensure educational reform. As a result, there was a de facto domination of the ethnic approach to education at the levels of governance (cantons of the Federation and RS entity level) where nationalists from a given community were in control. As a part of their respective “claims of distinctiveness” to borrow the expression from Craig Calhoun17, the Serbian-Croat language spoken in ex-Yugoslavia by the majority of the population, broke into three different languages, the Bosniak, the Croat and the Serb, driven by nationalist agendas from the ethnic entrepreneurs within the country, each community claiming their right to speak their ‘own’ language, glorifying their respective poets and writers. Geography became similarly a highly politically charged topic, directly related to the kin states of Croatia and Serbia. An illustration of this could be observed back in the beginning of the years 2000 in Republika Srpska where the geography textbooks used to show the regions of RS and Serbia-Montenegro as if these areas represented the map of a single country, and without any mention of Bosnia-Herzegovina, the official State to which RS is integrally part of.

Studying history textbooks in post-war Bosnia, Branislava Baranovic uncovered how each ethnic group developed its own culturally oriented history texts18, which she explains are “contributing more to the creation of a closed, ethnocentric identity than to an identity open to diversity”19. As Historian Dubravko Lovrenovic (ex-deputy Minister of Education of the Federation of Bosnia-Herzegovina) puts it, “Bosnia has three biographies”, since each historiography needs to secure the historical continuity of what is been considered as three separate nations. As such, each group is allowed to envision an entitlement to a Nation-State, which emerged to be “an organizing principle”20 as put forward by Anthony D. Smith, and governing the nationalistic dynamics in the Balkans. In that particular context, ethnic entrepreneurs undertake “nationalist processes that seek to maintain this fictive image of cultural homogeneity”21, thus perpetuating a configuration which Donald Rothchild characterizes as “non-negotiating situations”22, in which the risk of conflict is extremely likely and where education crystallizes the pursuit of the confrontation.

As a major means of socialization, education (and schools) has acquired the role of channeling the fabrication of ethnonational ideology and cultural values, fueling the nationalist clash in Bosnia-Herzegovina.

Education Strategies, Vectors of the Nationalist Clash

In Bosnia, like in many other deeply divided societies, maintaining cultural distinctiveness represents a core political agenda. In that, ethnic groups are extremely active at keeping alive their specific claims of nationhood as agents of legitimization of a Nation-Building project, through establishing a historical continuity of the concept of a nation, associating the group with a specific territory and by claiming statehood, “passing from the tribe to the Nation”23. It is through these nationalist lenses that the ideals of Grand Serbia and Grand Croatia were developed, leading the Muslim Bosniaks to promote their own historiography in order to legitimize a parallel claim to statehood.

With three Nation-Building ideals in action in a single State, Bosnia-Herzegovina witnesses what Xavier Bougarel calls a “superposition of rival sovereignties”24, where education became a decisive means to maintain a distinct collective memory as part of the perpetuation of one’s national and cultural celebration. Added to that, politics has entered schools where electoral meetings are regularly held and where nationalist posters and slogans are displayed, along with religious symbols. As a result of labeling a school’s area with an ethnic marker, discrimination had become a serious challenge for the international community working to ensure for instance the right of the refugees and displaced persons to return to their homes where they would be considered as minorities by a given ethnic majority. In August 2008 for instance, the city of Stolac suddenly forbid the children of Bosniak returnees of attending the school, prompting an intervention of the High Representative to correct the situation.

Developing the will to de-politicize education in Bosnia, the international community slowly involved itself in the very sensitive field of education, pushing (imposing) legislative reforms, namely between 2003 and 2007, to try to alleviate the nationalist grip over educational curricula25. The Office of the High Representative, the OSCE, even the World Bank, intervened to have offensive material removed from educational material and introduce legal provisions providing principles for an education system which respects the right to a decent education, regardless of ethnic and religious affiliation and origin. As part of these efforts to depoliticize education, a State agency was created for pre-school, primary and secondary education in Bosnia holding the mission of establishing the standards of knowledge, the criteria of the assessment of students’ achievements and developing common core curricula, hence strengthening the role of central institutions vis-à-vis the power of the entities in educational affairs. A pilot program was launched in the district of Brcko with multiethnic classes to discuss national (as in Bosnian) issues.

Such initiatives were met with strong nationalistic reactions from the political main-stream from the different communities, whether in the Federation or in Republika Srpska, namely fueling a perception of endangerment and the feeling of vulnerability. Theorized by Donald Horowitz who introduced the notion of “the fear of extinction”26 among ethnic groups, it constantly fuels the lack trust and confidence of the ethnic entrepreneurs as they feel they cannot afford to demobilize or remove any nationalistic promoting mechanism. For instance, transfers of competence from the entities level to the State’s central institutions are seen by the main nationalist Croat and Serb parties as undermining the core of their existential condition, whereas the Bosniaks welcome any additional competence to a central state they consider as rightfully theirs. Since 2000, it has been the international community’s strategy to more aggressively strengthen the central state, as part of the dynamics to give it a sense of functional normality and efficiency27. Here, the state-building (or institution-building) agenda directly clashes with the nation-building aspirations of the national groups, and the main arena of this political battle lays in a battle State versus Entities.

This clash is the larger dynamic which engulfs education and many other sensitive affairs related to nationhood (military, justice and police), triggering many deep political crisis on a regular basis. The cleavage opposes from one hand the nationalist Bosniak approach leaning towards strengthening a central state in Sarajevo, “regarding Republika Srpska as an illegitimate product of war [and considering] Sarajevo [as the] natural centre of the Bosnian political universe”28. On the other hand, the Croat and Serb perspective tend towards conserving enough political leverage to prevent Bosnia from becoming a Bosniak-controlled country, with the Serbs’ particular focus on defending the wide autonomy of Republika Srpska and maintaining the system as decentralized as possible.

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In this clash of unsatisfied nationalisms, education proved to become a highly exist-ential struggle in post-war Bosnia. Fifteen years have passed since the adoption of the Dayton Agreement and the High Representative, who was supposed to be a temporary agent, is still in place in a mission to consolidate the Bosnian State infrastructure, still nourishing the ambitions of establishing a citizen Bosnia rather than a nationalist fragmented one. Many efforts and achievements were accomplished to undo segregation and discrimination in the educational spheres of the country at many levels, but without defusing the nationalist attachments. Indeed, in a Multinational State as such, where constituent nations are recognized and legitimatized by the very constitutional order of the Bosnian regime, the international state-building model advocating against nationalist dynamics demonstrated to be an extremely uneasy path. In this context, investment in education and insufflating the spirit of tolerance, citizenship and coexistence (the traditional Bosnian komciluk), were deemed incompatible with the different national senses of belonging. As a result, the de-politicization of education in Bosnia, speared by the international agents of state-building, has been of a deconstruction type, as part of a larger enterprise of dismantling the ethnic structure of the country through the perspective of European integration, but fueling at the same time a vicious circle of radical counter-reactions of harsher nationalism.

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Footnotes:

1 Despite the fact that the noun refers to the religion, it is the term used officially to designate the Bosniaks¸the Slavic population of Muslim confession living in ex-Yugoslavia.

2 FURNIVALL, J.S. Netherlands India: A Study of Plural Economy, Cambridge, Cambridge Univer-sity Press, 1939, p. 446

3 ROTHCHILD, Donald. Ethnicity and Conflict Resolution. World Politics, vol. 22, n°4, July 1970, p. 598.

4 GELLNER, Ernest. Muslim Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 59.

5 HANF, Theodor. Coexistence in wartime Lebanon: decline of a state and rise of a nation, Oxford, Centre for Lebanese Studies, London, Tauris, 1993, p. 14.

6 CLARK, James. Frequent Incompatibilities: Ethnic and Religious Diversity and the Nations of the Middle East. Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, vol. 22, n°1–2, 2002, p. 36.

7 CONNOR, Walker. The Politics of Ethnonationalism. Journal of International Affairs, vol. 27, n°1, 1973, pp. 1–21, CONNOR, Walker. Ethnonationalism : The Quest for Understanding, Princeton, Princeton University Press, 1994, 234 p.

8 CONNOR, Walker. The Politics of Ethnonationalism. Op. cit., p. 3.

9 GOSSIAUX, Jean-François. Pouvoirs ethniques dans les Balkans, Paris, PUF, 2002, 217 p.

10 For more insights on the concept of power sharing, cf LIJPHART, Arendt. Consociational Democracy. World Politics, vol. 21, nº2, January 1969, pp. 207–225; LIJPHART, Arend. Democ-racy in plural societies. A comparative exploration, New Haven, Yale University Press, 1977, 249 p.

11 The Federation is constituted of ten cantons, a sublevel of government holding an important number of prerogatives, as the RS holds a more centralized system with a division into municipalities.

12 WILLIAMS, C.H. The Cultural Rights of Minorities: Recognition and Implementation, in PLITCH-TOVA , J. (ed.). Minorities in Politics: Cultural and Language Rights, Bratislava, 1992. Cited in HENRARD, Kristin. Education and Multiculturalism, International Journal on Minority and Group Rights, vol. 7, 2000, pp. 393–410.

13 PERRY Valery. Reading, Writing and Reconciliation: Educational Reform in Bosnia and Herze-govina, ECMI Working Paper num. 18, September 2003, p. 27.

14 Cf OSCE website: Background of the Education Sector in Bosnia and Herzegovina, www.osce bih.org/education/?d=2

15 PERRY, Valery. Reading, Writing and Reconciliation: Educational Reform in Bosnia and Herze-govina, European Centre for Minority Issues, Working Paper 18, Sept. 2003, p. 29.

16 Idem.

17 CALHOUN, Craig. Nationalism and Ethnicity. Annual Review of Sociology, vol. 19, 1993, p. 216.

18 BARANOVIC, Branislava. History Textbooks in Post-war Bosnia and Herzegovina. Intercultural Education, Vol. 12, No. 1, 2001, pp. 13–26.

19 Op. Cit. p. 13.

20 Cf SMITH, Anthony D. The Ethnic Origins of Nations, Basil Blackwell, Oxford, 1986, 312 p.

21 BUSH, Kenneth D., SALTARELLI, Diana. The Two Faces of Education in Ethnic Conflict, UNICEF, August 2000

22 ROTHCHILD, Donald. Ethnicity and Conflict Resolution. World Politics, vol. 22, n°4, July 1970, p. 611.

23 GELLNER, Ernest. Nations et nationalismes, Paris, Payot, 1983, p. 49.

24 BOUGAREL, Xavier. Bosnie. Anatomie d’un conflit, La Découverte, Paris, 1996, p. 78.

25 A state-level Framework Law on Primary and Secondary Education was adopted in 2003. In 2007 and 2008, other pieces of state-level legislation were passed, such as the Framework Law on Higher Edu-cation, the Framework Law on Pre-school Education, the Law on Vocational and Educational Train-ing and the Law on an Agency for Pre-school, Primary and Secondary Education.

26 HOROWITZ, Donald. Ethnic Groups in Conflict, Berkeley, University of California Press, 1985, pp. 175–179.

27 Cf COX, Marcus. State Building and Post-War Reconstruction: Lessons from Bosnia, the Rehabili-tation of War-Torn Societies, Center for Applied Studies in International Negotiations, Geneva, January 2001.

28 European Stability Initiative. Making Federalism Work: A Radical proposal for practical reform, 8 January 2004, Berlin/Sarajevo, p. 5.