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Pourquoi l'impunité prévaut-elle au Liban?

Karim EL MUFTI, le 4 août 2025.

5 ans après la double explosion du port de Beyrouth sans l’avènement d’une quelconque justice ou réparation, l’UE vient rappeler l’importance de mettre fin à l’impunité pour redresser le Liban.

Facile à dire sachant que la justice ne se décrète pas de Bruxelles ou de Washington. Ses rouages doivent émaner du coeur même d’une société qui décide de s’en approprier les valeurs et les mécanismes.

Alors pourquoi diable le Liban semble-il si réfractaire à toute lutte contre l’impunité ?

La racine de cette ablation de la justice dans le tissu social libanais tient à un profond renversement de l’échelle des valeurs qui eut lieu au sortir de la guerre civile dévastatrice. En adoptant la loi d’amnistie de 1991, le Liban officiel exonère d’un trait de plume l’ensemble des milices et leurs chefs respectifs de leurs responsabilités pénales s’agissant des massacres et crimes commis durant les 15 années de conflit.

A cette époque, Nelson Mandela n’ayant pas encore inventé la « justice transitionnelle » en Afrique du Sud, il n’était donc pas anormal pour les Libanais – ni pour les Européens d’ailleurs – d’accepter de sacrificier la justice à l’autel d’un retour à un semblant de normalité et de stabilité.

Mais lorsqu’une société gracie des criminels de guerre ayant (volontairement) massacré des civils, comment escompter pouvoir poursuivre en justice des fonctionnaires corrompus dont l’outrageuse négligence a (involontairement) causé la destruction de la moitié de Beyrouth ? Là sied le nœud gordien de la quête de toute justice au Liban.

Résultat ? Toujours aucune réponse quant aux causes de la double explosion, la fragmentation des associations des familles de victimes aujourd’hui inaudibles, aucune poursuite judiciaire. Certes le régime aime protéger ses sbires corrompus, mais force reste de constater que la société libanaise ne se montre pas foncièrement combative sur ce sujet. A force de verser dans la « résilience », la justice, elle, passe au second plan, durablement.

A la même époque de la double explosion, un autre dossier de justice rendait ses conclusions sur un autre crime, terroriste celui-là. Le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) avait même dû repousser son rendu à cause du drame national de la destruction de pans entiers de Beyrouth.

Avec son jugement du 18 août 2020, une cour de justice comptant des juges libanais a pu pour la première fois dans l’histoire judiciaire du Liban, condamner très officiellement les responsables d’un attentat politique, le cas échéant ici des membres du Hezbollah ayant conduit l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005.

Résultat ? aucune arrestation, aucune conséquence sur le capital politique du Hezbollah, Saad Hariri, héritier politique de son père assassiné, avait quant à lui « pardonné », avant de se retirer de la vie politique libanaise.

Plus avant, le TSL, pourtant efficace et incisif, fut clôturé, dissous sans que personne ne le défende, accusé d’avoir été l’instrument d’une « justice sélective », considéré comme « trop cher », les médias ayant régulièrement cloué au pilori les budgets consentis par l’ONU et le gouvernement libanais.

Je me souviens de débats particulièrement houleux avec des collègues de la société civile libanaise que j’avais du mal à persuader de l’opportunité historique de ces mécanismes à l’œuvre.

Il leur était compliqué d’intégrer l’idée qu’une justice efficace coûtait cher et que, dans le contexte de l’impunité totale au Liban, toute justice était bonne à prendre. Le TSL servait une justice « sélective » certes (pourquoi Rafic Hariri et pas les autres ?), mais n’était-il pas judicieux de s’emparer du fil de la justice au Liban par un bout, quel qu’il soit, indépendamment de nos attentes utopiques?

La fermeture du TSL fut d’ailleurs un déni de justice pour les « cas connexes » prévus dans ses travaux, à savoir les autres assassinats politiques de cette même époque (Gébrane Tuéni, Georges Hawi etc.) lesquels ne recevront jamais de réponse.

En dénigrant systématiquement toute quête de justice au motif de considérations communautaristes, politiques ou idéologiques, la société libanaise perd autant d’opportunités de réactiver la boussole de la justice. Dans un contexte où les Libanais n’ont pas le luxe du choix des priorités nationales en matière de justice, toute avancée dans cette quête devrait être soutenue et développée, dans l’espoir de provoquer un effet boule de neige.

Tandis que l’on commémore la tragédie du terrible 4 août – toujours impunie cinq ans après, il est utile de rappeler que seuls les citoyens pourront porter ce type de combat ; encore faut-il qu’ils en assument le choix à l’avenir.

Shrinking Democracy in Lebanon: How a Securitised State of Emergency Is Threatening Democratic Norms

A Democracy Reporting International Brief

By Karim El Mufti

December 2020



Lebanon is experiencing the most crushing challenges in its 100 years of existence. In the wake of the covid-19 pandemic and the 4 August Beirut explosion, national authorities have resorted to highly controversial martial law regulations in the form of the General Mobilisation Plan (GMP) and declaring a State of Emergency (SoE). Such measures are unprecedented despite regularly experiencing exceptional circumstances, triggered by both internal and external factors.


Worldwide emergency measures to counter covid-19 have disrupted the foundations of democratic principles and the rule of law, during a time when democratic practices were already at risk in many countries. As feared by thinker Amartya Sen, “the world does face today a pandemic of authoritarianism, as well as a pandemic of disease, which debilitates human life in distinct but interrelated ways”.[1]


SoE legislation, as framed and implemented in Lebanon, is threatening democratic principles and the rule of law. It has affected the basic rights of citizens and the aspirations of the protestors who took to the streets in Lebanon in October 2019, demanding dignity, good governance, and social justice from their government. To protect these rights, the political factions in power need to abandon the securitisation approach in addressing people’s well-being in the context of the covid-19 pandemic and abide by national and international law. Decision-makers should correct this course of action and engage in crucial reforms to strengthen the legislative branch and the independence of the judiciary to play their crucial role in ensuring checks and balances against the emergency responses. At the same time they need to overturn corruption and unconstitutional practices. 

Full Brief available here


[1] Amartya Sen, A Pandemic of Authoritarianism, 18 October 2020, available on bit.ly/3r1oHxY




Karim el Mufti : « au Liban la société civile a abandonné le jeu politique pour reprendre son rôle traditionnel »

Qu’en est-il de la Thawra un an après, quelles solutions politiques de sortie de crise ? Éléments de réponses avec Karim el Mufti, enseignant chercheur en droit international et sciences politiques à Beyrouth.

Sur 15-38 Méditerranée - le 16 octobre 2020

Emmanuel Macron s’est rendu à plusieurs reprises au Liban depuis l ‘explosion du port de Beyrouth. Il semble vouloir prendre un rôle de premier plan dans la résolution de la crise politique du pays. Comment percevez-vous cette initiative française ? 

La France se veut aux premières loges en tant que puissance amie de longue date. Elle essaye de faire bouger les choses mais pour le moment c’est un échec. Il est en effet difficile de faire avancer le dossier libanais, véritable « trou noir » communautariste, aux prises avec la corruption et les milices. La situation actuelle fait écho à celle du Venezuela ou encore de la Bosnie. La classe politique se bat pour survivre et conserver un statu quo qui lui convient.

La tâche de former un gouvernement et de gouverner était impossible pour le dernier premier ministre, d’où sa démission.

Pour les proches de la contestation, l’initiative de la France est souvent perçue comme bienvenue pour réduire le pouvoir du régime en place (cela pourrait évoluer en cas de nomination de Saad Hariri). Ils apprécient l’humiliation publique des leaders par une puissance étrangère. Mais c’est mal connaître la classe politique au Liban que de penser qu’elles s’arrêtent à son image. Elle est actuellement en « mode survie » et chacun cherche à conserver ses acquis par rapport à son patron régional. A force, les politiques du pays sont devenus maîtres dans l’art de manipuler les initiatives étrangères selon leurs intérêts.

Par ailleurs, l’effondrement du secteur bancaire et l’explosion de la dette publique aggravent la situation politique.

Dans ce contexte politique et économique, une alternative politique est-elle envisageable selon vous ?

Nous sommes loin du compte. Actuellement, personne n’est capable de gagner les élections telles qu’elles ont lieu au Liban. Pour moi, c’est une impasse totale. Cela peut sans doute également expliquer la position résignée de la France de traiter avec les forces en présence.

Les groupes d’opposition nés de la Thawra ou des dernières élections n’ont pas la maturité ni le capital politique pour gouverner et capter les voix.

Comment envisager une sortie de crise ?

Après l’échec de l’initiative française en septembre, j’ai du mal à pointer du doigt le début d’une réforme possible. Le régime se nourrit de la crise, il est né de la guerre. Ce n’est pas une classe politique mue par l’intérêt général et cela ne va pas changer à court terme.

Le groupe international de soutien au Liban doit se réunir en octobre afin d’évaluer la situation du pays mais dans la situation actuelle entrevoir une piste de solution n’est pas chose aisée. J’appelle le Liban « le trou noir » car selon moi le pays est en voie de désintégration ; économique, politique, sociale, médicale… Sur ce dernier point, le secteur hospitalier est actuellement dépassé par le Coronavirus et l’absence de gouvernance ne permet pas de mettre en place une stratégie pour faire face à l’épidémie.

La dévaluation de la livre libanaise se poursuit (au Liban, le dollar et la livre libanaise circulent conjointement au cours officiel fixe de 1 dollars pour 1500 livres libanaises, NDLR). Aujourd’hui, un dollar équivaut à 9 000 livres et les comptes en dollars des épargnants ont été gelés. D’ailleurs, la banque libanaise a récemment annoncé qu’elle n’avait presque plus de devises et qu’elle serait sans doute obligée de lever les subventions sur les produits de premières nécessités comme le pain ou l’essence qui permettaient de ne pas voir les prix augmenter malgré la crise. Près de 70% de Libanais se retrouveront en situation de pauvreté au cours de cette année. Et personne n’a le moindre levier pour inverser la tendance.

La Thawra célèbre son premier anniversaire le 17 octobre. Dans ce contexte, un nouveau soulèvement est-il envisageable selon vous ?

L’opinion publique n’est pas forcément mobilisée. L’esprit du 17 octobre ne connaît pas de regain malgré l’aggravation de la situation depuis un an. La mobilisation manque de souffle. Les occupations d’espace public, les routes coupées, cela prend moins. Une autre stratégie devrait être envisagée face aux murs des oligarques et des miliciens.

Hors Beyrouth, la société civile a d’ailleurs repris sa casquette humanitaire. Les organisations distribuent des aides et laissent de côté l’engagement politique. A Beyrouth aussi, la société civile avait tenté le jeu politique mais elle l’a abandonné pour reprendre son rôle traditionnel. Son énergie est aujourd’hui captée par les centaines de milliers de victimes de l’explosion du port de Beyrouth.

L’immigration devrait aussi connaître un regain. On compte 72 000 départs depuis le début de l’année. Le solde migratoire sera négatif d’ici fin 2020, ce qui est une catastrophe économique, sociale et financière. Ce sont autant de voix pour les alternatives politiques qui partent également. Ce sont ceux qui auraient pu voter pour d’autres projets politiques.

Malgré tout, personne n’avait vu venir le 17 octobre 2019. Tout est possible, une étincelle inattendue malgré la fatigue…


Disponible sur https://www.1538mediterranee.com/karim-el-mufti-au-liban-la-societe-civile-a-abandonne-le-jeu-politique-pour-reprendre-son-role-traditionnel/

La thaoura, un an après : le virage raté de la représentativité politique

L'Orient Le Jour / Par Karim el-Mufti, le 14 octobre 2020 

https://www.lorientlejour.com/article/1236298/le-virage-rate-de-la-representativite-politique.html 

Quasiment un an après avoir été poussé à la démission par la fronde populaire du 17 octobre 2019, le Premier ministre Saad Hariri a annoncé, la semaine dernière lors d’une émission politique télévisée, sa volonté de former le prochain gouvernement. Le retour du dernier boulon – le cas échéant sunnite – dans le giron du régime politico-communautaire libanais claque comme un camouflet bien amer pour ceux qui pariaient sur un affaissement du système au vu de la ferveur des manifestants de l’automne dernier. Comment expliquer ce retour douloureux à la case départ, alors que le pays continue de couler, en sus d’avoir été foudroyé le 4 août par la négligence criminelle et la corruption généralisée des élites politico-communautaires ?

Car au lieu de consolider la vague contestataire contre le système gangrené en place, la double explosion du port de Beyrouth, qui a coûté la vie à 202 personnes, en a blessé 6 500 autres et dévasté une partie de la capitale, a parachevé l’essoufflement de la dynamique contestataire. Désormais affairés à la reconstruction des quartiers sinistrés et l’acheminement de l’aide à une population laissée à elle-même dans un contexte d’hyperinflation et d’effondrement des services publics, les groupes politiques alternatifs ne sont plus audibles sur la scène politique, retrouvant les codes et les réflexes de mission de la société civile dont proviennent la majorité d’entre eux. 

Ajoutons à cela le renoncement des différentes oppositions au sein du Parlement à leurs prérogatives, préférant sacrifier les outils du contre-pouvoir législatif sur l’autel d’une approche populiste basée sur l’émotionnel. Ainsi, la démission des députés Kataëb, dont le parti s’était frayé un chemin tant bien que mal le long de la crête de la vague de contestation, en sus de celle de Paula Yacoubian, seule députée de la « société civile » ayant arraché une victoire lors des élections de 2018, ne peut manquer d’interpeller, contribuant à desserrer un peu plus l’étau sur le régime politico-communautaire au cœur des institutions politiques. 

Solidité du régime 

Un an après la « révolution » du 17 octobre ayant permis à une jeunesse pleine d’espoir de crever le plafond de verre imposé par le système sectaire et patriarcal, force est de constater que le bilan reste maigre. Trois facteurs peuvent être mis en avant pour tenter de comprendre ce virage raté de cette colère populaire qui laissait penser que tout devenait possible pour le pays à la recherche d’un meilleur avenir. Tout d’abord, la solidité de ce régime politico-communautaire n’est pas à sous-estimer. La chute du gouvernement de Saad Hariri le 29 octobre 2019 n’ouvrit pas la voie à un renversement plus large de l’establishment politique en place. 

Ce dernier, via les différentes formations politico-communautaires, finira par conserver l’ensemble des leviers du pouvoir, sans oublier la puissance tirée de leurs parrainages régionaux et internationaux. Le cabinet Diab, désormais en charge des affaires courantes et faussement présenté comme technocrate, ne put en fait échapper aux pressions des « barons » politiques qui continuent de s’accaparer la réalité du pouvoir. Ce sont eux justement que le président français Emmanuel Macron a tenu à rassembler lors de ses deux visites à Beyrouth dans un contexte inédit de « sauvetage » d’un Liban « en danger de disparition », comme l’a souligné le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Malgré l’échouage de l’initiative française sur les écueils de ce roc qu’est le régime politico-communautaire en place, le président Macron dut admettre que ces acteurs politiques « sont élus », leur rendant leurs lettres de légitimité, et ce au grand dam des tenants de la révolte du 17 octobre attachés au principe du rejet total de la classe politique : « Tous, cela veut dire tous ». 

La solidité du régime s’est également traduite par la brutale répression qui s’est abattue sur les contestataires. L’armée libanaise a eu recours impunément à un usage excessif de la force, mutilant même de nombreux manifestants, sans non plus intervenir durablement lorsque les partisans des partis chiites se mirent à attaquer les protestataires et brûler leurs tentes de rassemblement. Rappelons en outre les actes de torture contre de nombreux activistes par les services de sécurité, tandis qu’aucune action n’est entreprise par la justice pour sanctionner les responsables. 

Le facteur malchance fut aussi de la partie avec la pandémie de Covid-19 et un long confinement qui paralysa la faculté de mouvement de la population. Les différentes mesures de prévention liées au coronavirus ont ainsi cassé le rythme de la rue, qui tenta une reprise en main du cycle de la contestation dès le mois de juin mais sans grand succès. La seconde vague du coronavirus qui frappe le pays en ce moment avec une croissance exponentielle des contaminations laisse préfigurer un gel des mouvements de rue, malgré quelques rassemblements timides ici et là lancés par certains groupes. Tant que perdurera la menace de la pandémie, l’arsenal des contestataires ne pourra compter sur le levier stratégique du terrain, ce qui ne peut que contribuer au renflouement de la classe politique qui profite de ce temps mort pour colmater les brèches causées par le choc du 17 octobre. 

 Enfin, un facteur sociétal doit également être relevé, à savoir le maintien d’une base non négligeable de partisans irréductibles en soutien à leurs leaders politico-communautaires respectifs. Contrairement aux prédictions, l’attachement aux zaïms ne s’est pas délité à la suite de la tragédie du port de Beyrouth qui a consacrée l’absence d’empathie des élites politiques et leur profonde faillite. Bien au contraire, les tensions sociales se sont accrues en défense des différentes formations au pouvoir, laissant craindre des débordements sécuritaires, tandis que les jeunes désenchantés contemplent désormais le chemin de l’émigration. Sans être absolu, le clivage générationnel maintient les difficultés pour les courants réformistes. 

Dans un article publié le 1er octobre dans L’Orient-Le Jour, un jeune racontait, désabusé, que ses parents étaient pressés de le mettre dans l’avion pour assurer son avenir, tandis qu’« ils soutiennent encore certains partis politiques ». Ainsi, la peur existentielle des membres des « minorités », composantes historiques du Liban centenaire, continue de l’emporter sur les considérations citoyennes, prolongeant la mainmise des élites politico-communautaires via cet imparable cheval de Troie. 

Un tel facteur sociétal a d’autant plus compliqué le ralliement des Libanais restés sectaires aux formations politiques alternatives, lesquelles ne sont pas parvenues à capter un soutien populaire leur permettant de peser véritablement dans la balance politique. 

Impossible unité 

À ces facteurs viennent s’ajouter les errements de ces groupes d’opposition qui ont manqué l’opportunité de se constituer un véritable capital politique à la faveur des coups de boutoir de la « révolution » du 17 octobre contre le système. Minés par le traumatisme des résultats décevants des élections de mai 2018, les chefs de file des courants de la contestation se sont très vite dédouanés de toute « représentation » du soulèvement de la rue, pensant éviter ainsi d’être taxés d’opportunisme politique. 

C’était vite oublier le fondement même des systèmes politiques modernes basés justement sur le jeu de la représentativité ; à trop répéter qu’ils ne représentaient pas les protestataires, les leaders réformistes se sont trop vite privés d’un précieux capital politique. Partant, ces groupes ont préféré actionner une ligne stratégique portée sur l’unification des courants, qui n’a pourtant pas fait ses preuves lors des élections législatives de 2018. Obnubilés par la recherche d’une impossible « unité », les groupes politiques alternatifs n’ont su diriger leur combativité pour s’engouffrer dans les failles de l’édifice politico-communautaire. L’interprétation des accords de Taëf, la stratégie de défense (les armes du Hezbollah), la politique étrangère tout comme les orientations économiques nationales sont autant de pierres d’achoppement qui ne peuvent être dépassées sans un risque de dilution des différentes identités politiques. 

Par ailleurs, la richesse de leur diversité, qui s’inscrit dans la nature même du jeu démocratique, ne constitue pas le travers à surmonter, le pendant étant l’investissement massif et sans compromission, chacun dans son champ d’action, dans un travail d’ancrage politique du tissu social local acquis à la « révolution ». Un an après le 17 octobre 2019, l’État libanais demeure confisqué par des élites charognardes et machiavéliques, jalouses de leurs intérêts politiques et financiers, via un système de partage du pouvoir qui tente de se maintenir coûte que coûte. Si l’énergie véhiculée par l’esprit du 17 octobre reste intacte, elle devra percer de nouveaux canaux d’expression à même d’être représentés à l’échelle politique pour réussir à conquérir et constituer des contre-pouvoirs durables et efficaces. 

Par Karim EL-MUFTI 

Enseignant-chercheur en sciences politiques et droit international, directeur de la clinique juridique des droits de l’homme à l’Université la Sagesse.

Lebanon Protests: The End of the Longstanding Resilience?

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Published in Beirut Today, on October 20, 2019

Both celebrated and cursed, the Lebanese resilience –or capacity to endure the toughest of situations and contexts, is engraved in the known saying: “Like a Phoenix, Lebanon shall always rise from its ashes.”
For the past 50 years, the Lebanese have overcome wars, terrorism, security clashes, and Israeli aggressions, managing to rebuild their homes, secure their livelihoods and raise their children. They have endured all types of crises, up until the most recent monetary and financial strains, all while suffering from a political class that has been feeding off State spoils for decades. 
As greater corruption lies among the most crucial challenges, it seems the capacity of the Lebanese resilience has reached a breaking limit. 

Read the rest of the paper on this link

Not Without Dignity: Views of Syrian Refugees in Lebanon on Displacement, Conditions of Return, and Coexistence

A Study for the International Center for Transitional Justice:

Discussions about a future return of refugees and coexistence among groups currently at war in Syria must begin now, even in the face of ongoing violence and displacement. This report, based on interviews with refugees, makes it clear that the restoration of dignity will be important to creating the necessary conditions for return and peaceful coexistence — and building a stable post-war Syria one day.

Download the full report in English here.
Download the executive summary in Arabic here.

June 12th, 2017

Armed conflict in Syria has displaced millions of people inside and outside of the country. When a political settlement to the conflict is eventually reached, the process of refugees returning to Syria and rebuilding their lives, relationships, and communities will be long and complex. However, discussions with displaced persons about return and coexistence can begin now, even in the face of ongoing violence and displacement.

This research report is based on interviews with refugees living in Lebanon and representatives of local and international organizations in both Lebanon and Turkey working on issues related to Syrian displacement. The report provides an important window into the experiences of refugees in Lebanon as well as their concerns, expectations, and priorities regarding conditions of return and coexistence.
The research findings highlight the harms experienced by Syrian refugees at both the individual and collective levels, including the loss of loved ones, houses, property, and businesses in Syria and difficult economic situations and discrimination in Lebanon. Displacement has had devastating impacts on families and led to broad social fragmentation, including sectarian and political divisions and rifts between those who left Syria and those who remained. The effects of conflict and displacement will be generational, as refugee children have been traumatized by their exposure to violence and largely deprived of education.

The findings also capture common priorities among Syrian refugees in Lebanon for return. Most do want to return, not just to Syria but to the regions and communities where they previously lived. Common preconditions for return include safety and security; shelter, livelihoods, and the physical reconstruction of homes and infrastructure; compensation or restitution for the loss of property and housing; the provision of education for children and youth; psychosocial support; and family reunification.

One positive development among refugees in Lebanon is that many youth engaged with local and international civil society organizations have acquired new skills and an openness to people with different religious and political beliefs that one day may contribute to rebuilding relationships in Syria.

Views about the potential for coexistence and justice vary widely. Some refugees believe that Syrians will be ready to rebuild ties once the conflict ends, while others are less optimistic. Some believe that justice is necessary for return, while others think it unlikely to occur. The research makes it clear that the restoration of dignity will play an important role in establishing the necessary conditions for refugee return and coexistence.
While return will ultimately depend on a political resolution to the Syrian conflict, several steps can be taken now that are likely to have implications for return and coexistence in the future. These include:
  • Integrate the views of refugees into discussions and policies about conditions of return, as participatory processes are more likely to lead to context-specific interventions.
  • Support community-level interventions, like the provision of psychosocial support, that can be implemented now and may facilitate return and coexistence in the future.
  • Address sexual and gender-based violence, women’s exploitation, and child marriage by empowering women, educating young girls, and raising awareness of such abuses among families.
  • Provide educational support to minimize the risk of the next generation being characterized by missed schooling, trauma, and violence.
  • Integrate property and land restitution into discussions of displacement settlement processes in the interest of future social cohesion.
  • Promote interaction between different groups and communities to reduce and prevent further sectarian and political divisions.
  • Support further research on Syrian refugee experiences and views on return and coexistence in countries such as Turkey and Jordan as well as in Europe.

Beirut Madinati, Change at the Tip of your Vote

By Dr. Karim El Mufti

3rd May 2016

Berytus Nutrix Legum, or Beirut as cradle of the law in its Latin expression, has lost all meaning in times such as these, when our national institutions have become decrepit due to the decay of the political culture of the ruling class. As a result, local authorities (municipalities and federations of municipalities) are one of the few remaining legitimate institutions in the country, making it even more crucial, for the future of democracy in Lebanon, to hold the municipal elections in their due phase.
It is in the name of democracy that Beirut Madinati (Beirut My City) has emerged as a political campaign to run in elections for the Municipal Council seats in Beirut. 

Read the article published in Executive Magazine, May 2016 issue

هل قلتم "انتفاضة المواطنة" ؟

بقلم د. كريم المفتي
٢٨ آب ٢٠١٥

غدا ستشهد وسط بيروت تعبيرا جديدا للشارع اللبناني تزداد فيه الحشود والمتظاهرين من كل الأعمار والديانات والمناطق، محتجين على السلوكية السياسية القائمة في البلد. وفاجأت حملة "طلعت ريحتكم" في قدرتها على تعبئة الشباب والعائلات في النزول الى الشارع، هذا الشارع الذي كان قد تحول في السنوات الماضية الى ساحة مواجهة (سلمية كما مسلحة) للأحزاب اللبنانية، بعيدا عن منطق المواطنة. فهل تساهم حركات احتجاج اللاحزبيين في الشارع الى بناء اركان المواطنة الفاقدة في لبنان ؟

استيقاظ الشارع اللاحزبي

لعقود كان يقال عن الرأي العام اللبناني انه غائب، أن لا وجود له ولا نبض عنده ولا قدرة له على التأثير في ظل التكلس الطائفي والكماشة الاقطاعية للساحة العامة. فلا بد من التذكير كيف ان خرج جيل الحرب من اجرامية النزاع ساعيا الى الطمأنينة والأمن والسلام ولو على حساب المواطنة والحرية والخدمات. فالمواطنة ابتلعها خطاب زعماء الطوائف، السياسيين والدينيين منهم، مختبئين وراء مفهوم "العيش المشترك". اما الحرية فتعطلت بفعل الوجود الاعتباطي السوري في لبنان الذي دعّمتها الماكينات الحزبية اللبنانية القائمة. وفي ملف الخدمات، تآكلت الادارات العامة في غياب اي مساعي جدية لتحديثها واصلاح المؤسسات، فساد منطق المحاصصة واختلاس الأموال العامة من دون ان يخجل المسؤولون السياسيون من حالة تضارب المصالح التي خدمت مصالحهم المادية على حساب الشأن العام.

في موازاة هذه المسارات، شددت العائلات اللبنانية قدرتها الـ"هرقولية" على التأقلم مع أشد وأصعب الحالات المعيشية، لاسيما في التعامل مع غياب توفير أبسط الخدمات، أكانت في مسألة التيار الكهربائي ومد المياه وفوضة الطرقات وغوغائية النقل العام، كما التعاطي مع فساد ومتاهات البيروقراطية لدى الادارات العامة وايجاد السبل لصد الغلاء المعيشي. فاُرهقت الطبقات الوسطى والطبقات المحتاجة فيما تحاول ابقاء رؤوسهم فوق امواج المتاعب والمصائب المتعلقة بالحياة اليومية.

ورغم انهاك الشارع اللبناني بهذه المسائل، بقي جزء كبير منه يعيد مبايعة الطبقة الحاكمة دوريا خلال الانتخابات النيابية آملا ان يكافأ ببقايا الأرباح وان يحصل على ميزات، ولو بسيطة، تساعده على ابقائه على رتبته من السلم الاجتماعي. وحين أُخرج العامل السوري من لبنان في العام ٢٠٠٥، أعاد الشارع اللبناني ثقته بالأحزاب المتواجدة التي غيرت معزوفتها المواقفية ولحقت بها قوى قديمة/جديدة باتت لها دورا في ادارة الحكم، مثل التيار الوطني الحر والقوات اللبنانية. وبعد ١٠ سنوات من الفشل للطبقة الحاكمة بأكملها، سئم الشارع اللبناني من أداء الحكام، اذ وصلت مؤخرا وتيرة فشلهم الى ادارة شأن النفايات الصلبة. ولم يعد الشارع اللبناني مقتنعا بأعذار الأحزاب التي عودت جمهورها باتهام أخصامها حين الفشل، وأرغمته على الصبر، تحسبا لنجاحات آتية واصلاحات صاخبة لم تنجز يوما.

وفرت عشر سنوات من التردي السياسي والسياساتي ارضا خصبة للأتيان برسائل احتجاجية من قبل أجيال متجددة. فالشباب المتظاهر اليوم لم يكن طرفا في عملية المبايعة التي قاموا بها أهاليهم خلال التحولات السياسية للعام ٢٠٠٥، واستطاعوا ان يبلوروا هذا الرفض فيما استفادوا في الوقت نفسه من دعم عائلاتهم. ويشكل هذا الدعم عاملا اساسيا لنجاح هذا الحراك في الشارع، أي انه جمع مزيجا من جماهير شبابية كما أطياف متزايدة من أهاليهم المحافظين تقليديا الذين باركوا الشباب بحراكهم واصطفوا الى جانبهم. وتبرز هذه الخطوة استعداد الأهالي بمخاطرة ارتباطهم بالـ"اتفاق القائم" مع الأحزاب والحكام عن طريق شبكات الزبائنية العنكبوتية والتي لم تطل الجمهور الشبابي الواقع خارج هذه الشبكات حتى ولو ترعرع في اوساطها من دون ان تقع عليه اي مسؤولية في ذلك. فمكّنت هذه العوامل بظهور الشارع اللاحزبي فيما يحاول ان يتكتل لكي يضغط على القوى السياسية في السلطة.

انتفاضة المواطنة، وتحدي موازين القوى

يلحظ ارباك المجموعات الشبابية، وعلى رأسها منظمي حملة "طلعت ريحتكم" حين يُطلب منهم تصنيف جهودهم، اذ يرفضون وصفها بالحراك "السياسي". ما يدل على الـ"تروما" العميق في الذهنية اللبنانية، وهي عابرة للأجيال، حول مسألة العلاقة بالعمل "السياسي"، وكأن الأخير بات من حكر الأحزاب فقط. فمن الطبيعي اعتبار هذه المبادرات والمطالب والنشاطات من عمق الميدان السياسي حسب قاموس علم السياسة كما تندرج في سياق "حق المشاركة في الحياة السياسية والمدنية" لو لجأنا الى الأدبيات القانونية التي تعرّف عن الحريات العامة.

بطبيعة الحال، مهدت المجموعات الشبابية الطريق امام "انتفاضة المواطنة" حيث تكمن السياسات العامة في صميم اهتمامات ومطالب المتظاهرين، وضمت ضغوط لمساءلة المسؤولين، أكانت موجهة ضد الادارة الفاسدة لملف النفايات الصلبة أو في محاسبة من سمح القوى الأمنية بفتح النار على المتظاهرين يوم ٢٢ آب الماضي. كما يغيب العنصر الطائفي والمذهبي من الشعارات المرفوعة في الشارع. كما تقع هذه الجهود في السياق السياسي حيث تحاول هذه الحركة ان تغير في موازين القوى في الحياة السياسية وان تؤثر على عملية صنع القرار في حين فقد النظام اللبناني قدرته على احترام الدستور وادارة الشأن العام. ومن المعروف كيف يستطيع ضغط الشارع ان يفرض تحولات قد تكون جذرية في حياة دولة ومجتمع، كما رأيناه في تونس ومصر وليبيا وسورية وأوكرانيا مؤخرا. ولو من الممكن المقاربة النظرية بين هذه التجارب الا ان على العالِم الاجتماعي والسياسي ان يؤكد على خصوصية كل واحدة منها وقد اسفرت كل حالة عن نتائج مختلفة عملا بعوامل داخلية وخارجية عديدة وخاصة لكل بلد.

اما "انتفاضة المواطنة" فما مصيرها في ظل الخصوصيات اللبنانية والبنية الاجتماعية الفسيفسائية في البلاد؟ في الفترة الراهنة، اختصرت المواجهة بين المتظاهرين والقوى الأمنية، ولم تطال أطياف أخرى من المجتمع، الطائفي من جهة والحزبي من جهة أخرى. بل على العكس، حيث أكد العديد من أصحاب السلطة (عدا عن محاولات الـ"قطف")، كما كبار رجال الدين، على أحقية المطالب وضرورة تلبيتها. فنجح الحراك الاحتجاجي في اختباره الأول حيث تمكن من طرح مسائل "مواطنية" متماشية مع الذهنية اللبنانية العابرة للأحزاب والطوائف والمناطق
 
وفي المرحلة ما بعد تظاهرة يوم السبت ٢٩ آب، يكمن الاختبار الأكبر لهذه الحركة الانتفاضية في تحويل كرة الضغط هذه الى مخرجات فعلية في الميدان السياسي. ما يعني قدرة الحراك على تحقيق ما تقدم به من مطالب، وبناء على ذلك، الاتفاق على كيفية استخدام هذا الرأسمال السياسي الجديد لطرح تصورات تصبح مفتوحة للنقاش والحوار في جو من الديمقراطية والتشارك الفعلي. ولأن الحراك غير مؤهل وغير راغب في ان يؤسس تنظيمات سياسية جديدة تطرح نفسها كبديل للحكم، فمن الأبواب التي قد تمدد لحياة هذا الحراك قدرة الأخير على فرض منطق التشاورات والاستشارات العلمية على النظام الحاكم، وأقله اشراك قوى عقلية وفنية بارزة لدى المجتمع ليؤثروا هم الآخرون على موازين القوى.

في هذا المجال، نجد العديد من الأدوات والآليات المتاحة لتسهيل عملية التشاور الديمقراطي، تفاديا للانقلابات واللجوء الى العنف. نشير منها مثلا انشاء جسم قريب الى "حكومة الظل"، المكون من شخصيات نزيهة وخبيرة من شتى القطاعات والأطياف لكي تطرح الحلول التقنية وتفتح باب الاصلاحات الأساسية في قضية تحديث البلاد على كافة الأصعدة الحيوية. وحين يأتي موعد الإقرار بالمسائل بعد فترة النقاش والتحاور، نجد في هذا الميدان أيضا أساليب متوفرة على صعيد الحياة السياسية لتثبيت مشروعية القرارات، مثل اللجوء الى وسيلة الاستفتاء الانتخابي، التي تنتمي الى أسمى الآليات في يد المواطنين كونهم مصدر الشرعية والسلطات. فتُطرح المسائل بشكل مباشر وشفاف امام المواطنين – وليس النواب وقياديي الأحزاب الذين سبق وفشلوا في هذه الأمور – فيصوتون على قواعد اللعبة السياسية التي يطمحون اليها، بدءً من قانون الانتخاب وصولا الى التعديلات الدستورية التي باتت ضرورية لحسن سير البلاد الى بر الأمان والاستقرار./.

Official response to the Syrian refugee crisis in Lebanon, the disastrous policy of no-policy

by Dr. Karim El Mufti
University Professor, expert in International Human Rights and Humanitarian Law & Social Entrepreneur

According to UNHCR, “over 2 million people have fled Syria since the beginning of the conflict in 2011, making this one of the largest refugee exoduses in recent history with no end yet in sight. The refugee population in the region could reach over 4 million by the end of 2014”. In Lebanon, UNHCR recorded 858.641 refugees by 31st December 2013, and some media reports skyrocket the number through the roof claiming that more than a million refugees are already living in the country. This short paper offers an insight on how the Lebanese authorities reacted to this humanitarian crisis, and points out the (absence of) policy from the relevant decision makers.

The paper was published on Daleel-Madani.org on 10 January 2014, click here to read.

اعلان استكتاب للمجلة العربية للعلوم السياسية حول موضوع "دول الثورات العربية وعملية بناء أو اعادة بناء الدولة، نظريات، تجارب وآفاق‎"

يشرفني ابلاغ قراء هذه المدونة عن اعلان استكتاب للمجلة العربية للعلوم السياسية، مجلة دورية محكّمة صادرة عن الجمعية العربية للعلوم السياسية بالتعاون مع مركز دراسات الوحدة العربية.

تتطلع المجلة الى أوراق بحثية ذي قيمة علمية حول موضوع "دول الثورات العربية وعملية بناء أو اعادة بناء الدولة، نظريات، تجارب وآفاقالذي قد يتفرع عنها المسائل والاشكاليات التالية:

- سير المرحلة الانتقالية التي دخلتها دول الثورات العربية (تونس، مصر، ليبيا، اليمن) من باب المؤسسات

- السلوكية السياسية واعادة فرز الأنظمة العربية ما بعد الثورات.

- دور الأحزاب/التيارات السياسية/الفكرية التقليدية/الجديدة المنظمة/غير المنظمة في بناء المؤسسات ما بعد الثورات العربية

- العقيدة السياسية لبناء الدولة للأحزاب/التيارات الاسلامية في الدول العربية ما بعد الثورة

- نظرة النخب السياسية  في دول الثورات العربية الى عملية بناء الدولة ومؤسساتها

تقتضي شروط المساهمة البحثية اعتماد منهجية متماسكة والاستناد الى مراجع علمية وأكاديمية وان تتضمن الورقة ما بين خمسة آلاف وثمانية آلاف كلمة كحد أقصى، وترسل قبل يوم ١٥ كانون الأول/ديسمبر ٢٠١٣ على العنوان الالكتروني التاليinfo@caus.org.lb لكي يصار الى مراجعتها من قبل اللجنة الاستشارية لدى مركز دراسات الوحدة العربية.

أشكر حسن انتباهكم حيث اتطلع الى مساهماتكم القيمة في هذه المبادرة الأكاديمية،

دكريم المفتي
مدير تحرير المجلة العربية للعلوم السياسية
باحث في العلوم السياسية واستاذ جامعي

L’Inexorable marche vers le fédéralisme au Liban

Dr. Karim El Mufti
Enseignant-chercheur en science politique


La disproportion de la réaction de militants sunnites suite au « crime » commis contre plusieurs ulémas de Dar El Fatwa, la haute instance sunnite du Liban, physiquement agressés dans des quartiers à majorité chiite le 17 mars 2013, est illustrative de la tendance des communautés libanaises au renfermement. Malgré l’appel au calme et à la retenue lancé par les différentes figures politico-communautaires, une étape supplémentaire fut de nouveau franchie en matière de tension intercommunautaire, notamment entre les groupes sunnite et chiite, emblématique d’une poussée régionale dans cette direction sous l’ère contemporaine.

Pays du « fédéralisme intégré » théorisé par Antoine Messarra[1], le Liban offre aux différents segments communautaires une très large autonomie sociale, économique, religieuse et évidemment politique inscrite dans le marbre de la Constitution. Cette autonomie rappelle pour l’auteur une forme de fédéralisme, intégré dans un Etat à caractère unitaire, à savoir qu’en lieu d’une répartition géographique et territoriale (comme les cantons suisses ou les fédéralismes classiques), les groupes confessionnels au Liban sont organisés selon une législation régissant une adhésion à un statut personnel. Ainsi, chacune des communautés reconnues se retrouve avec un nombre de 167 compétences constituant son statut personnel et celui-ci varie selon les communautés. Cette institutionnalisation du communautarisme fut confirmée par les accords de Taëf de 1989 malgré la mention d’une hypothétique « abolition du confessionnalisme politique »[2] qui ne trouvera jamais de relais politique pour une éventuelle mise en œuvre, car délaissée par des formations politico-communautaires arc-boutées sur des valeurs étroitement sectaires.

Pourtant, lors de l’expulsion de l’acteur syrien de l’espace politique libanais en avril 2005 provoquée par l’onde de choc de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, les tenants d’une renaissance de la république libanaise ont acclamé la venue d’une « seconde indépendance » (théorisée par le courant du 14 Mars) ainsi que le renouveau d’un « mouvement souverainiste » (théorisé par le courant du 8 Mars, notamment le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun rentré d’exil en mai 2005). Premier chef du gouvernement de l’ère post-syrienne, Fouad Siniora affirmait avec confiance au sujet de la déclaration de principes de politique générale de son cabinet nouvellement formé que c’est « la première fois que nous [la] rédigeons nous-mêmes »[3], en référence aux incessantes ingérences du grand frère syrien depuis le quartier général de Anjar dans la Békaa.

En moins d’une décennie, ces espoirs ont fait long feu, accélérant une tendance vers le délitement du visage républicain au Liban sous le poids croissant de l’envahissement du champ politique libanais par des revendications communautaristes toujours plus pressentes.

1. Le lent délitement de la République 

Pionnier dans l’application d’une ingénierie politique favorisant le partage du pouvoir, ou consociationnalisme, théorisé par Arendt Lijphart[4], le Liban sut très tôt intégrer le caractère pluriel de son tissu social dans son système politique en vue de garantir à l’ensemble des minorités un certain poids au sein des institutions étatiques, comme inscrit dès la première Constitution libanaise de 1926[5]. En dépit de la division  de la littérature des sciences sociales autour de la question de savoir si le consociationnalisme est bénéfique en terme de facteur de stabilité politique, force reste tout de même de constater qu’il figure parmi les grands acquis du régime politique libanais d’après-guerre[6], lequel ne fut pas remis en question même après le retrait du protagoniste syrien en avril 2005.

Néanmoins, les politiques libanais ne purent jamais sortir le pays du sous-développement politique chronique[7] maintenant la République libanaise dans une « phase de pré-Etat » pour reprendre une expression de Farid El Khazen[8] lequel entend par là un phénomène de sous-institutionnalisation de l’entité étatique. Celle-ci prend par conséquent la forme, comme le dit Jean Leca, d’« un collectif non institué […] perçu comme un faisceau ou un fagot d’institutions, d’organisations et d’agents, [plutôt] que comme une institution »[9]. La multiplication des incidents entre des hauts fonctionnaires et leurs ministres respectifs[10] vient à cet égard confirmer la nature compartimentée de l’administration publique, déchirée entre les différentes loyautés politico-communautaires et incapable de tenir son rôle dans la reconstruction de l’édifice républicain.

Par ailleurs, l’effacement de la notion de république et la défense du constitutionnalisme se fait de plus en plus notable dans les discours et les actes politiques des différentes formations libanaises. Jadis en marge du discours politique local, les options centrifuges, parmi lesquelles le principe fédéral, furent en effet écartées lors de la proclamation de la seconde République et le retour de la « légalité » (à savoir les institutions étatiques) au sortir de la guerre, malgré le fait qu’elles furent agressivement poursuivies durant celle-ci.

Ainsi, le courant porteur du fédéralisme libanais, largement influencé par, entre autres, Antoine Najm[11], finit par séduire de nombreux intellectuels au sein des cercles politiques libanais. Parmi les nouveaux supporters de cette vision, le parti Kataëb s’est rallié à cette tendance. Présidé par l’ancien président de la République Amine Gemayel qui pourtant débuta son mandat en 1982 très marqué par des positions nationalistes et arabistes, ce dernier écrit aujourd’hui que « dans un Etat pluriel comme le Liban, il est indispensable de créer de petites entités régionales de manière à mieux responsabiliser le citoyen, à mieux le faire participer aux différents volets de la vie publique et lui permettre de mieux s’épanouir par la réalisation de ses aspirations légitimes dans son environnement sociocommunautaire »[12]. Cette profonde évolution fut en partie influencée par les positions du cadet de la famille, Sami Gemayel, avant sa réconciliation avec le parti fondé par son grand-père. Ainsi, le fils de l’ancien président épousa la défense de l’option fédérale au travers du regroupement Loubnanouna [Notre Liban][13] s’appuyant sur le principe selon lequel «  le Liban est un Etat de Nations et non un Etat-Nation, comment vivre dans un pays où l'existence même des multiples communautés qui le composent est chaque jour remise en cause ? »[14]. En outre, on retrouve la formule fédérale ouvertement prônée parmi d’autres courants politiques, opérant par la même occasion un véritable travail de déminage autour de cette notion selon le principe suivant : « qui dit fédéralisme ne dit pas partition du Liban »[15].

Sans être aussi directement formulés, les schémas de pensée des leaders politiques des autres communautés s’avancent lentement vers l’idée d’une nécessité de faire évoluer le système politique afin que chacune des sectes puisse mettre en œuvre son « projet de société » (voir point 2). Comme l’avance Alain Dieckhoff, cette notion implique la création à terme d’« entités fédérées ayant un projet de société spécifique à défendre, [et leur donner] des droits et des pouvoirs dont ne jouiraient pas les autres entités purement territoriales et administratives »[16].

Le fédéralisme perd ainsi progressivement son caractère tabou par le renforcement des mobilisations communautaristes d’un côté, mais également par le fait de l’effritement des contre-pouvoirs encadrant traditionnellement le communautarisme libanais tel que fonctionnant au Liban.

2. Effritement des contre-pouvoirs au communautarisme politique


Un premier verrou s’est vu décrocher devant la doctrine communautariste traçant aussi inexorablement son chemin, celui de la présidence de la République qui a vécu une rétrogradation politique au profit d’une militarisation du poste suprême de l’Etat libanais. Si la présence d’un militaire au sommet de l’Etat n’est pas sans précédent dans l’histoire politique libanaise comme l’indique le mandat du père de l’administration publique libanaise, le général Fouad Chehab (1958-1964), force est de constater que la défense de l’idée républicaine ne fut pas le fort des généraux de l’époque contemporaine. En effet, qu’il s’agisse du président-général Emile Lahoud (1998-2007), obsédé par la sauvegarde des intérêts syriens au Liban ou du président-général Michel Sleiman (depuis 2008) relégué au rang d’observateur impuissant devant le renforcement des mobilisations communautaristes, la stature du chef de l’Etat, traditionnel emblème de la « légalité » face au communautarisme, a désormais perdu son rôle de balancier aux forces centrifuges des formations politico-communautaires.

Par ailleurs, il s’agit de relever l’effacement progressif des lignes et des discours laïques des grands courants politiques au Liban. Qu’il s’agisse du parti Amal dont le président représente l’instance législative du pays, mais luttant surtout pour maintenir sa position de second représentant de la population chiite aux côtés du Hezbollah, du PSP de Walid Joumblatt qui s’est brusquement rabattu sur la seule défense des intérêts purement druzes ou du Courant du Futur autrefois marqué par une ambition transcommunautaire et qui lutte désormais pour une monopolisation de la représentation de l’électorat sunnite en fustigeant le « mini-Etat du Hezbollah [chiite] »[17], il s’agit là d’un ralliement des grandes figures aux rangs des porte-voix des crispations des identités communautaires transposées dans le champ politique, s’alignant ainsi sur les discours, traditionnels et plus récents, des principaux courants politiques chrétiens libanais. Parmi ceux-là, Michel Aoun, le président du CPL veut remédier au « hold-up commis contre le droit des chrétiens »[18], en partie causé par « la fin de la dualité des leaderships au sein des communautés au Liban et l’émergence de blocs sunnite, chiite et druze homogènes »[19].

Ajoutons à cela la disparition, physique cette fois, des figures intellectuelles emblématiques de la recherche d’une laïcité (certains diraient étatisme civil) à la libanaise (sur les flancs aussi bien de gauche que de droite) comme Samir Kassir ou Gebrane Tuéni [20], conduisant à un affaissement supplémentaire des remparts contre la mainmise du tout-communautaire dans l’espace sociopolitique libanais. Ceux-ci se retrouvent aujourd’hui dans un état de délabrement avancé, ouvrant la voie à une inexorable marche de l’entité libanaise du 21ème siècle vers davantage de solutions empruntées à un idéal fédéral.

L’aboutissement de ce phénomène a conduit à un puissant effet de cliquet qui vit l’émergence dans le paysage législatif au Liban d’un très sérieux débat sur une loi électorale basée sur un vote exclusivement communautaire tel que préconisé par le projet de loi promu par l’ancien ministre Elie Ferzli (popularisé sous l’appellation de projet de loi orthodoxe en rapport avec la communauté d’origine dudit ministre).

Quoique nécessitant un amendement constitutionnel pour pouvoir passer en l’état, ce développement évoque néanmoins la concrétisation d’une tendance lourde vers de nouvelles caractéristiques du communautarisme politique proprement libanais. Si celles-ci sont décriées par les marges de la population rangée au cosmopolitisme ou à la gauche farouchement anti-communautariste, cette formule n’en reste pas moins en phase avec l’ancrage des mentalités sociales et politiques de la société plurielle et mosaïque que constitue le Liban aujourd’hui.

Beyrouth, le 20 mars 2013





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[1] MESSARRA, Antoine. Théorie générale du système politique libanais, Cariscript, Paris, 1994.

[2] Point G de l’Accord de Taëf du 22 octobre 1989.
[3] An Nahar du 5 octobre 2005.
[4] LIJPHART, Arend. Democracy in plural societies. A comparative exploration, New Haven, Yale university press, 1977, LIJPHART, Arend. Democracies: Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-One Countries, New Haven, CT, Yale University Press, 1984, LIJPHART, Arend. Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-Six Countries, New Haven, Yale University Press, 1999.
[5] L’article 95 de la Constitution de 1926 disposait originellement : « A titre transitoire et conformément aux dispositions de l'article 1er de la Charte du Mandat et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l'État ». La loi constitutionnelle de 1990 amenda l’article sans en modifier le fond : « A titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l'État ».
[6] Lire entre autres: PICARD, Elizabeth. Les habits neufs du communautarisme libanais. Cultures et Conflits, n°15/16, automne-hiver 1994, p. 49. Disponible sur Internet : http://www.conflits.org/index515.html
[7] Sur la notion de sous-développement politique, lire HUDSON, Michael. A Case of Political Underdevelopment. Journal of Politics, vol. 29, n°4, Nov. 1967, pp. 821-837.
[8] EL KHAZEN, Farid. L’Etat au Liban: qui en veut vraiment? In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, p. 94.
[9] LECA, Jean. Violence et ordre. In HANNOYER Jean (dir.) Guerres Civiles, économies de la violence, dimensions de la civilité, Karthala, 1999, p. 317-318.
[10] Citons à titre de rappel le déclenchement des clashs de mai 2008 en partie à cause de la destitution du directeur de la Sûreté Générale, ou plus récemment encore l’affaire Ogero de mai 2011 ou celle des données des centrales de télécommunications de janvier 2012 qui ont provoqué une crise interministérielle.
[11] Lire à ce sujet NAJM, Antoine. El Ta’ifiya El Siyasiya wa Machrou’iyatiha [Le Confessionnalisme politique et sa légitimité], 1er février 2010, NAJM, Antoine. Le Fédéralisme, point de départ de la solution. In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, pp. 126-127.
[12] GEMAYEL, Amine. Le Liban, un projet d’espoir! In Réinventer le Liban, Supplément de l’Orient-Le Jour, Beyrouth, mars 2008, p. 53.
[13] Cercle de réflexion politique nostalgique de feu le Président Bachir Gemayel, et fondé par de jeunes politiciens, dont Sami Gemayel dont le but est la promotion de la solution fédérale au Liban, cf http://www.loubnanouna.org
[14] Note publiée sur le site www.loubanouna.org, le 8 décembre 2005.
[15] BOU NASSIF, Hisham. Pour un Etat fédéral. Conférence à la Maison de  l’Avocat dans le cadre d’un cycle de reflexion sur l’avenir politique du Liban, 9 avril 2008, compte-rendu publié sur le site des Forces Libanaises sur http://www.lebanese-forces.com/2008/04/14/8391
[16] DIECKHOFF, Alain. La nation dans tous ses Etats, les identités nationales en mouvement, Flammarion, Paris, 2000, p. 233.
[17] Discours de Saad Hariri, chef du Courant du Futur, le 14 février 2013 lors de la 8ème commémoration de l’assassinat de son père Rafic Hariri.
[18] Interview de Michel Aoun dans Al Akhbar du 15 février 2013.
[19] Idem
[20] Tous deux assassinés par des attentats à la bombe le premier le 2 juin 2005 et le second le 12 décembre 2005.

Confrontation politique et fossé grandissant au Liban, la dernière bataille pour contrôler l’Etat inachevé

Karim El Mufti

Chercheur en science politique

Une fois n’est pas coutume, la classe politique libanaise se dirige vers une nouvelle cassure. Vingt ans après la fin de la guerre et le début du processus de reconstruction d’un Etat toujours en quête d’identité, celui-ci sombre une nouvelle fois dans un cycle de paralysie. Cette nouvelle crise s’insère dans un contexte de forte polarisation entre les forces politiques en présence bataillant, depuis le retrait du parrain syrien en avril 2005, pour le contrôle de l’identité et de l’âme de l’Etat en place, afin d’en déterminer la forme, la place et le rôle, et ce à l’ombre de considérations régionales et internationales dont les enjeux dépassent le seul cadre libanais. Entre les deux modèles envisagés par les entrepreneurs politico-communautaires des deux camps, d’un côté la République Marchande, défendue par les forces 14 Mars, et celui de la République Militante prônée par celles du 8 Mars[1], le maintien d’une forme de compromis intermédiaire n’a plus cours. Ballottée de transition en transition, la scène politique libanaise, toutes formations confondues, s’enfonce dans la crise, accroissant toujours plus le fossé entre des projets théoriquement incompatibles.

Et cette fois, c’est au tour des forces du 8 Mars de se lancer dans une tentative pour dépasser la logique du compromis, rejetant finalement toute coopération avec le regroupement du 14 Mars qu’elles ne considèrent plus comme un partenaire politique, et notamment en la personne de Saad Hariri, premier ministre dont l’arrivée tardive et l’inexpérience dans le jeu politique ont eu raison de sa crédibilité. Rassemblant les acteurs politiques dont la plupart tenaient déjà le pouvoir depuis la fin de la guerre civile sous tutelle syrienne après l’assassinat de feu Rafic Hariri en février 2005, le 14 Mars peine à mobiliser des leviers politiques qui lui permettraient de faire face à une défiance, de plus en plus radicale, de la part du Hezbollah et ses alliés du CPL de Michel Aoun. Au lendemain des élections de l’été 2005, la logique du compromis avait gouverné le paysage politique libanais, contre la volonté des figures du 14 Mars qui voyaient dans le retrait syrien d’avril 2005 l’occasion d’introduire le fait majoritaire dans les règles du jeu politique. Cette tentative fut défaite par l’opposition qui sut jouer de la rue (les rassemblements du centre-ville qui ont duré plus d’un an) et du blocage institutionnel (par le président du parlement Nabih Berri qui interrompit les sessions du pouvoir législatif sur une période semblable), au rythme de crises et tensions politiques qui envenima l’entièreté du mandat parlementaire de 2005 à 2009.

Au lendemain des élections législatives de juin 2009 émergea le gouvernement d’union nationale présidé par Saad Hariri, rééditant le système consensuel du partage du pouvoir en dépit de la majorité qui s’est encore une fois dégagée du scrutin au profit du 14 Mars. Malgré le maintien des mécanismes consociatifs, le clivage autour de la question du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) paralysa l’action publique et finit par avoir raison du bon fonctionnement de l’exécutif qui fut destitué par le retrait de plus d’un tiers de ses membres le 12 janvier dernier. Rejetant les rumeurs qui ont progressivement percé, le mêlant à l’assassinat de Rafic Hariri sur lequel enquête le TSL, le Hezbollah s’est redit prêt à « couper la main de quiconque voudra porter atteinte à la Résistance » en l’accusant de ce meurtre. La concomitance de la démission collective ayant fait tomber le gouvernement et l’annonce de la transmission imminente de l’acte d’accusation par le procureur Bellemare (dont le contenu est maintenu secret et qui intervint le 17 janvier dernier) n’est bien évidemment pas fortuite, mais cache une passe d’armes plus tranchée encore sur l’avenir du processus d’édification de l’Etat libanais, pris en tenailles dans cette énième crise.

Revigorées par le retour en puissance de Damas et de Téhéran sur la scène régionale, les élites politiques du 8 Mars lorgnent enfin sur une prise en main du processus institutionnel, une tendance renforcée par la perte du 14 Mars de son ancien pilier, Walid Jumblatt, qui finit par se désolidariser de son ancienne coalition. Plus avant, deux éléments de discours alimentent le refus aujourd’hui affiché par les leaders de l’opposition de composer dorénavant avec les forces du 14 Mars. D’une part, les accusations de corruption des entrepreneurs politiques au pouvoir depuis 1992, largement véhiculées par les figures du 8 Mars au sein d’une population libanaise dont une large partie, toutes tendances confondues, n’a pas bénéficié des dividendes de la reconstruction économique et financière de l’ère Hariri. D’un autre côté, la rhétorique de l’opposition s’appuie sur un réquisitoire associant le soutien au TSL, dépeint comme bras armé des Etats-Unis et d’Israël pour contrer le concept de Résistance au Proche-Orient, à une « trahison » de l’ordre de la « collaboration avec l’ennemi sioniste ».

En face, le 14 Mars a essayé tant bien que mal de garder la main sur le processus de reconstruction institutionnelle de l’ère post-syrienne, mais il fut rapidement dépassé par les flancs, en dépit des nombreuses concessions politiques déjà accordées. Il n’en reste pas moins que la mobilisation de ceux qui furent les artisans du retrait syrien du Liban après près de 30 ans de tutelle, se maintient à travers des arguments d’ordre politique, mettant en garde contre un coup d’Etat du Hezbollah et l’instauration d’une république islamique au Liban, et en renouvelant le soutien politique au TSL. En second lieu, le champ économique est également mis à contribution, le 14 Mars arguant que le pays serait financièrement ostracisé et coupé de la communauté internationale, comme pour le cas de Gaza, une situation qui serait « catastrophique », comme l’a fait remarqué le chef des Forces Libanaises, Samir Geagea, pour la stabilité des marchés financiers si le 8 Mars venait à prendre le pouvoir.

Dans cette bataille politique, l’effet de l’accord de Doha de mai 2008 qui permit l’accession du général Michel Sleiman à la présidence de la République et la tenue des élections de juin 2009, est aujourd’hui épuisé. C’est un nouveau Taëf que semblent rechercher les élites politiques libanaises, s’appuyant comme en 1989, sur une entente syro-saoudienne, et dont le premier round de négociations ne put pour l’heure aboutir. Au vu des développements géopolitiques de la dernière décennie, il va sans dire que l’Iran devra également compter parmi les parrains de tout nouvel accord politico-institutionnel au Liban. Celui-ci tiendra lieu de nouveau cadre de confrontation pour les acteurs politico-communautaires libanais dans cette dernière bataille pour l’Etat toujours en attente de sa matrice identitaire finale.

Beyrouth, le 24 janvier 2011


[1] Les contours de ce clivage sont explorés dans notre ouvrage à paraître : Reconstruction d’Etat dans les sociétés multicommunautaires ; analyse comparative entre le Liban et la Bosnie-Herzégovine.